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Développer le pouvoir d’agir en accompagnement et en formation ? ce qui se cache derrière les mots

Pouvoir d'agir ? un mot de plus pour parler de motivation et d'autonomie ? Ou un réel changement de paradigme ayant des impacts sur les pratiques ?

Développer le pouvoir d’agir en accompagnement et en formation ? ce qui se cache derrière les mots 

Lors de l’animation d’une séance d’échange de pratiques sur l’accompagnement de publics dits « vulnérables », un des professionnels, expérimenté et impliqué dans la réflexion, fit part au groupe de son agacement face à la déferlante de mots nouveaux, peu compréhensibles, qui pour lui, ne faisaient que redire différemment des choses connues : « Avant on parlait de motivation, maintenant on nous sert l’agentivité, le pouvoir d’agir. Et mieux : les environnements capacitants ! Tout cela n’aide pas beaucoup les professionnels de terrain de baptiser autrement ce que l’on déjà connaît fort bien ». En l’écoutant, je me suis fait une remarque. Ces notions sont pour moi essentielles, structurantes, et potentiellement opérationnelles (elles peuvent être assez facilement traduites en gestes professionnels). Or elles risquent d’être évacuées du débat faute d’être lisibles concrètement. Peut-on alors, en quelques lignes, dans le cadre d’un article nécessairement synthétique (donc potentiellement caricatural), tenter à la fois de clarifier ces notions, de voir ce qu’elles apportent dans la compréhension des situations d’accompagnement (ou de formation) et d’identifier comment elles peuvent se décliner dans les pratiques. Sans en occulter les dérives possibles. C’est un peu le défi de cet article. Et pour montrer que tout cela s’incarne dans des pratiques de terrain, nous proposerons une série d’articles à venir sur ce thème rendant compte de différentes initiatives s’appuyant sur ces principes.

Pourquoi cette inflation sémantique autour du pouvoir d’agir ?

La période traversée, depuis bientôt deux ans, nous a tous fait éprouver deux dimensions que nous avions peut-être un peu oubliées : l’imprévisibilité (on avance parfois à vue) et le sentiment d’impuissance qui peut individuellement et collectivement nous tétaniser. Car nous pouvons, dans ce contexte, avoir le sentiment que nous n’avons plus de prise sur ce qui nous arrive. Cette expérience intime de la vulnérabilité peut être paradoxalement très éclairante sur ce qui signifie le pouvoir d’agir. Corrélativement, les discours sur la mobilisation du pouvoir d’agir s’invitent dans les débats publics, à la fois politiques (citoyenneté notamment) et éducatifs. S’agit-il uniquement de revisiter sémantiquement des notions bien ancrées comme motivation et autonomie ? Ou y a t-il des éléments notionnels différents qu’il s’agirait de clarifier. La présence de ces concepts dans plusieurs cahiers des charges du monde de la formation et de l’accompagnement, le recours à ce vocabulaire dans les textes européens sur l’inclusion, la référence parfois confuse aux notions d’empowerment, de pouvoir d’agir et de capabilité nécessitent une clarification. Nous chercherons d’abord à les définir mais surtout à relever ce qu’elles peuvent structurer comme possibilités d’action publique et de pratiques formatives.

Dans un deuxième temps, nous chercherons à préciser les principes qui impactent le champ de la formation et l’accompagnement. Puis nous donnerons quelques exemples de déclinaisons pratiques et opérationnelles pour le professionnel. Afin de préciser en quoi ces approches ne sont pas des injonctions de plus à l’autonomie et au libre-arbitre.

De quoi parle t-on ?

En préambule, nous faisons le choix ne pas nommer toutes les filiations historiques des notions évoquées : on y retrouverait des références à John Dewey mais également aux approches de l’éducation populaire et de très nombreuses initiatives pédagogiques. Alors de quoi s’agit-il ? De façon très générale, on pourrait le formuler ainsi : permettre aux personnes et aux collectifs d’être en mesure de prendre leur destin en main. Ainsi l’empowerment peut se définir comme la capacité des personnes et des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature des changements qui les concernent.

Alors, au-delà de cette intention, générale et consensuelle, ce que l’on retrouve de commun dans ces approches, c’est bien la reprise du contrôle sur sa propre vie.  Yann Le Bossé, professeur au département des fondements et pratiques en éducation de l'Université Laval au Québec définit ce qu’il a intitulé DPA « Développement du pouvoir d’agir » ainsi : Un processus de gain de contrôle sur ce qui est important pour soi, ses proches ou la collectivité à laquelle on s’identifie. Et plus loin il précise : c’est la possibilité de réguler les évènements de sa vie, d’avoir un impact sur ce qui nous arrive.

 Il y a donc dans ces différentes déclinaisons une même idée : une dimension de contrôle, de reprise en main des leviers qui relèvent de la personne. Cela a un impact sur le rôle et la posture du professionnel. Il n’est pas (plus) celui qui sait pour l’autre (quel que soit son niveau d’expertise), mais celui qui facilite la prise en main, par la personne de ce qu’elle peut faire au regard de ce qui a de la valeur pour elle. Ce qui nous rapproche de la notion de capabilities développée par l’économiste indien Amartya Sen : ce ne sont pas les ressources qui sont uniquement la question, l’enjeu est de faciliter l’utilisation de ces ressources pour aller vers quelque chose qui a de la valeur pour la personne : en somme liberté d’action et capacité à faire. Définition qui rejoint celle de l’agentivité : la capacité des individus à être des agents actifs de leur propre vie, c'est-à-dire à exercer un contrôle et une régulation de leurs actes.

Cela déplace la question de l’accompagnement à la problématique suivante : l’essentiel est de veiller à ce que les conditions soient réunies, propices à la mise en œuvre de ces capabilités. Ce qui nécessite une attention particulière à la fois aux priorités des personnes (ce qui a de la valeur pour elles) et aux possibilités laissées par le contexte pour les utiliser. Un exemple vient à l’esprit : il ne suffit pas que l’application moncompteformation soit simple d’accès et d’utilisation pour que tout un chacun puisse faire des choix conscients et éclairés. D’autres paramètres sont à prendre en compte qui nécessitent parfois le recours à un facilitateur.

Quelques principes qui peuvent organiser des ingénieries pédagogiques

Si ces notions semblent pertinentes, le risque est qu’elles soient d’un grand niveau de généralité, que tout le monde s’en empare pour en parler (comme la prose de M Jourdain) sans les inscrire dans des choix méthodologiques et éthiques précis. Nous précisons ci-dessous quelques principes structurants, déclinables en pratiques, sans viser l’exhaustivité :

Un regard et une considération sur chaque personne : cela pose comme principe que l’on ne se focalise pas sur les manques qu’il s’agirait uniquement d’identifier et de compenser mais sur les ressources et capabilités dont il s’agit de faciliter la mise en œuvre. Yann Le Bossé parle de présomption de compétences.

Une personne partie-prenante aux décisions qui la concerne. Ce qui ne se réduit pas à lui demander son avis mais bien à faciliter une co construction des hypothèses.

La reconnaissance de la valeur de l’expérience de chaque personne. Ce qui a de la valeur pour la personne lui est propre. On ne peut décider unilatéralement ce qui est important et essentiel pour elle. Sinon, les logiques perspectives (le savoir sur et pour l’autres) sont susceptibles de produire soit du rejet soit de la simple conformité aux attendus. Et plus grave, de renforcer la personne dans le sentiment d’impuissance.

Une vigilance à la médiation des ressources (et pas à leur seul accès). Les ressources, quelles qu’en soit la qualité, ne sont pas suffisantes. C’est bien la capacité à rendre ces ressources utilisables et appropriables qui est l’enjeu. En ce sens, c’est de médiation dont il s’agit.

Tous les éléments précédents ont des impacts sur la posture, qui ne peut plus être verticale et prescriptive. C’est donc bien d’une alliance de travail dont on parle. Cela va bien au-delà d’un simple accord sur un programme mais suppose un engagement conjoint, des responsabilités lisibles, partagées et limitées.

L’importance de la dimension communautaire : si les travaux ont beaucoup été centrés en France sur la dimension individuelle, toutes ces approches intègrent la dimension communautaire. Cela permet à la fois de retisser une relation et d’éviter les dérives purement individualistes du pouvoir d’agir. Il s’agit de se situer dans une dimension élargie où chaque personne peut exercer un pouvoir sur ce qui lui arrive, un pouvoir de... qui peut s’inscrire dans un apport à un collectif pour contribuer à un destin commun et bénéficier du soutien de ses pairs.

Une attention aux contextes, aux lieux et aux modalités : nous présenterons dans un prochain article, plusieurs expériences où la localisation, l’organisation du lieu, la modalité de travail avec le public contribuent à des contributions nombreuses et riches. A titre d’exemple, une publication de recherche récente « Quand la recherche et la formation contribuent à augmenter la capacité d’agir : une expérience de théâtre-forum du point de vue des participantes » illustre les impacts possibles sur la reprise main. Cela ouvre également des enjeux pédagogiques sur la question des ingénieries prenant appui sur des médias un peu différents (culturels notamment).

En pratique

Dès à présent, on peut identifier les différentes pratiques qui sont immédiatement impactées par ces approches. Cela modifie en profondeur :

Les questions de diagnostic

Il ne s’agit plus alors de faire un diagnostic visant la prescription mais de prendre en considération la personne dans sa situation. Techniquement, cela se manifeste dans la mise en œuvre d’une Analyse partagée de situation (proposée dans le cadre du Conseil en évolution professionnelle par exemple) qui est bien la co élaboration d’un cadre de travail (clarté des objectifs, lisibilité des moyens proposés, relation de confiance) et non pas un diagnostic expert de plus. Cela a deux avantages : que la personne soit partie-prenante augmente la probabilité que les décisions prises soient mises en œuvre ; la prise en compte de son contexte et de ses priorités modifie la relation de confiance avec le professionnel. La considération pour ce qui a de la valeur pour l’autre est une condition de la confiance.

Les questions d’employabilité

Si on interroge le diagnostic, on envisage les prérequis de façon tout à fait différente. Cela pose immédiatement la question des conditions d’accès à des dispositifs ou à des emplois conditionnés par des seuls critères d’employabilité. Les personnes ne seraient pas prêtes car elles ne répondraient pas aux exigences. N’est-il pas possible d’envisager des espaces de négociation ? Les très nombreuses expériences de médiation active à l’emploi, aux résultats très significatifs en terme d’inclusion, s’affranchissent des questions de prérequis pour construire des situations de négociation et d’accueil propices en entreprise. Ces résultats, largement documentés, devraient nous permettre de voir en quoi nous avons collectivement un levier très significatif de mobilisation du pouvoir d’agir. A un moment où on note de grandes difficultés de recrutement dans de très nombreux secteurs (et partout en Europe), n’est-il pas temps d’oser cette affirmation : des exigences disproportionnées amplifient le sentiment d’impuissance. Ne pourrait-on envisager un droit à l’essai plutôt qu’un droit à l’erreur ?

Les questions de modalités

Si l’enjeu est de porter une attention aux contextes pour qu’ils soient facilitants, potentiellement apprenants, alors l’ingénierie peut consister à imaginer et faire vivre l’accompagnement et la formation dans d’autres lieux. Le développement intéressant des tiers-Lieux partout en Europe va dans ce sens. Si les rencontres se font « ailleurs », quel est l’impact sur le public en terme de mobilisation et d’apprentissages ? Là encore, les effets en terme de mobilisation du pouvoir d’agir individuel et collectif commencent à être largement documentés.

Perspectives

Alors, on perçoit à travers ces quelques exemples, qu’il ne s’agit pas de simples effets de langage. Qu’il y a en arrière-plan une conception qui interroge les places et postures de chacun. Mais ces approches ne sont pas sans ambiguïtés voire dérives. Plusieurs risques sont évidents : le premier est que le recours permanent au développement du pouvoir d’agir ne soit qu’une incantation nouvelle pour valoriser la volonté individuelle : mettons à disposition de chacun toutes les ressources nécessaires. Chacun est libre de les utiliser ou pas. Ce qui implique de facto qui si cela ne marche pas, la difficulté est potentiellement imputable à la personne. Cette dérive volontariste peut également renforcer le sentiment d’impuissance, notamment pour des personnes qui traversent des périodes de grande vulnérabilité. La focalisation sur l’agir peut effrayer quand on se sent démuni. Avoir conscience de ces limites ou dérives, c’est justement accorder de l’importance à une personnalisation des approches, qui ne se réduit pas à varier les contenus mais qui donne l’occasion à chaque personne d’être prise en compte dans sa situation, son contexte de vie et ses modalités préférentielles. Ce changement de focale est loin d’être anecdotique et peut grandement contribuer à ce que le slogan « pour tous et partout » devienne effectif.

Article cité (expérience de théâtre Forum)
https://www.cairn.info/revue-ecrire-le-social-la-revue-de-l-aifris-2021-1-page-83.htm

Interview de Yann le Bossé
https://www.kelvoa.com/wp-content/uploads/2017/07/Interview-YannLe-BosséKELVOA.pdf

Annonce du colloque Vulnérabilité et empowerment
https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:6847413873981583360/

André Chauvet

transitions pro.
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Commentaire

Empowerment is more than just motivation and autonomy.  It is multi faceted.  People need the skills and confidence to take control over what is important to them and not be led by what others think they should do. Information is also empowering and people need access to the right information to enable them to make decisions and identify the supports and resources that can assist them on their journey

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