[Semaine thématique EPALE] Wendy Ramola – Vivre la ruralité – Ensemble et connectés

Article publié dans le cadre de la semaine thématique "Communautés d'apprentissage en milieu rural"
[Traduction : EPALE France]
Wendy Ramola est diplômée en économie sociale et travaille comme conseillère pédagogique à LEB, l’association pour la formation régionale des adultes de Basse-Saxe (Ländliche Erwachsenenbildung in Niedersachsen e.V.). Sa mission principale consiste à conseiller des groupes, associations, institutions et communes dans leurs démarches de formation. Dans ce cadre, elle conçoit et organise des programmes politiques et pédagogiques dans le domaine des médias numériques pour les zones urbaines et rurales. Dans cette interview pour la plateforme EPALE, elle présente le projet de « fourgon itinérant du numérique » (DigiMo), qui vise à rassembler les habitants des zones rurales autour d’une offre de formation aux médias numériques.
Qu’est-ce que le projet « Fourgon itinérant du numérique - Une formation aux médias numériques pour les jeunes et les personnes âgées en ruralité (DigiMo) » et comment l’idée est-elle née ?
Le concept central de DigiMo consiste à se déplacer directement dans les villages avec plusieurs fourgons itinérants dans le but de réunir des jeunes et des personnes âgées autour d’une offre attrayante de formation aux médias numériques, et de combler ainsi les lacunes dans ce domaine en ruralité.
Tout a commencé en 2020 lorsque le ministère fédéral allemand de l’Éducation et de la Recherche a lancé le concours « La société des idées » (Gesellschaft der Ideen), un prix qui récompense les idées d’innovations sociales. Un millier de projets se sont portés candidats et 30 d’entre eux ont convaincu le jury, dont l’initiative DigiMo « Fourgon itinérant du numérique - Une formation aux médias numériques pour les jeunes et les personnes âgées en ruralité », soumis par l’association LEB.
Que s’est-il passé après votre sélection ?
Nous avons démarré la phase de conception. Pour cela, nous nous sommes mis à la recherche de partenaires parmi les professionnels de terrain et dans le milieu scientifique pour composer une équipe. Celle-ci comprend des membres de la LEB, de la FAG, l’association de travail bénévole pour les séniors et l’intergénérationnel de Göttingen (Freie Altenarbeit Göttingen e.V.), d’AGS, l’association pour les populations rurales et l’agriculture (Agrarsoziale Gesellschaft e.V.), et de la faculté de gestion des ressource de l’Université des sciences et arts appliqués (HAWK/Hochschule für angewandte Wissenschaft und Kunst) de Hildesheim/Holzminden/Göttingen.
Nous avons ensuite eu six mois pour transformer l’idée en concept. Une fois ce concept élaboré, nous l’avons de nouveau présenté à la « Société des idées ». Les 30 meilleures idées ont été soumises à un second vote, lors duquel les citoyens ont été amenés à soutenir leur idée préférée. Les 10 idées ayant obtenu le plus de votes ont ensuite pu commencer une phase d’expérimentation de deux ans, en bénéficiant d’un accompagnement scientifique. Nous avons démarré cette phase début 2022 et disposons maintenant de deux ans pour tester notre projet, c’est-à-dire le « fourgon itinérant du numérique », en conditions expérimentales d’apprentissage.
De quoi s’agit-il concrètement ?
Il s’agit d’un véhicule (un fourgon) itinérant dédié au numérique. Des formateurs bénévoles qualifiés se déplacent dans les villages qui ont demandé à participer au projet. Ils apportent également tous les équipements techniques comme des ordinateurs portables, des tablettes, des smartphones, des casques, etc.
En quoi consiste leur mission sur place ?
Notre projet repose sur trois piliers : la qualification, la formation et le conseil. Dans un premier temps, ces formateurs vont qualifier des volontaires bénévoles par le biais de sessions de « formation de formateurs », afin que ceux-ci soient en mesure de transmettre leur maîtrise des médias numériques, via une méthode progressive et des qualités de patience et d’empathie, à des personnes qui n’ont que très peu de connaissances en la matière. Lorsque ceux-ci seront formés, nous pourrons proposer de véritables offres de formation sur place.
Qui sont ces bénévoles et comment parvenez-vous jusqu’à eux ?
Nous allons d’une part lancer un vaste appel à candidatures et contacter la presse locale. D’autre part, nous disposons, au travers de nos activités, d’un très bon réseau dans les zones rurales de Basse-Saxe. Nous supposons que cette campagne de communication va attirer des jeunes, et peut-être aussi des personnes un peu plus âgées, notamment celles qui sont venues s’installer à la campagne au moment de la pandémie, qui font du télétravail et qui connaissent bien le monde numérique. Elles seront donc à même d’aider un public peu connecté à se familiariser avec le monde du numérique.
Quels grands thèmes sont au cœur de ces lieux de formation itinérants ?
Les sujets seront probablement très variés. Les contenus de formation que nous allons proposer s’orienteront en permanence sur les besoins des populations rurales. Nous allons dans un premier temps déterminer ces besoins afin de pouvoir proposer des interventions ciblées et assurer la réussite et l’utilité de notre initiative en ruralité. Il n’y a donc pas de programme de formation fixe, car nous répondrons avant tout aux besoins réels. Pour certains, il s’agira d’abord de leur expliquer ce qu’est une souris ou un curseur, ou comment on allume un ordinateur. D’autres voudront savoir comment appeler en vidéo leur famille résidant en France. D’autres encore souhaiteront apprendre à transférer des photos de leur smartphone sur leur ordinateur portable.
Parmi les autres domaines éventuels, on pourrait aussi citer la télémédecine, par exemple. Dans les villages où il n’y a plus de médecin, certains habitants peuvent s’interroger sur le fonctionnement de cette pratique, se demander si c’est un moyen sérieux et à quoi il faut faire attention quand on l’utilise. Les intervenants qualifiés pourront les accompagner sur ce sujet-là aussi.
Dans quelle mesure les connaissances acquises sont-elles pérennes ?
Au début, nos formateurs accompagneront les sessions de formation. Mais l’objectif est qu’à la fin de leur parcours, les bénévoles qualifiés créent leur propre offre pour les locaux, qu’ils proposent par exemple une consultation hebdomadaire sur le numérique, ou qu’un bénévole expert dans un domaine organise un atelier sur cette thématique.
Ces formations se dérouleront également sur place, dans le village, par exemple dans le local des pompiers volontaires ou dans une maison communale. Il n’est pas indispensable que ce local soit équipé d’une connexion Internet, car celle-ci est incluse dans nos services et nous l’apporterons avec nous. Les bénévoles impliqués pourront ainsi voir comment cela se passe et quels espaces ils pourront continuer à utiliser par la suite. Le projet est conçu pour favoriser la participation à l’évolution numérique et offrir de nouvelles opportunités de contact entre les jeunes, les personnes âgées, les nouveaux arrivants et les gens établis depuis longtemps dans le village. Cela signifie donc que l’objectif premier de notre projet n’est pas nécessairement d’établir ces offres de formations, mais plutôt de permettre à la population de se rapprocher. Que les gens se rassemblent pour former une communauté, qu’ils puissent comprendre quelles sont leurs ressources et comment ils peuvent les développer ou les transmettre. C’est l’essence même de ce projet.
La qualification et la formation sont les deux premiers piliers, qu’en est-il du troisième ?
Le troisième pilier repose sur des services de conseil. Avec le fourgon itinérant du numérique, nous nous rendons également dans d’autres villages ou petites villes que les trois initialement sélectionnés. On peut se représenter le concept comme une sorte de « magasin roulant ». Notre « fourgon du numérique » stationnera par exemple devant un supermarché, ou sera présent à la fête des pompiers, et servira de « salle d’exposition », dans laquelle nous présenterons des appareils numériques divers et variés que les gens pourront venir essayer, et sur lesquels ils pourront poser des questions. Le seuil de participation ne sera pas limité, car il ne s’agit pas de pénétrer dans un espace fermé, mais plutôt de s’approcher du véhicule.
Comment avez-vous constaté qu’il y avait une très forte demande pour ce type de projet dans les zones rurales ?
D’une part, cette demande est clairement ressortie de notre collaboration avec des équipes et associations rurales. D’autre part, nous avons réalisé, lors de l’étude scientifique du projet, de nombreuses enquêtes dans des zones rurales, qui ont mis le besoin en évidence. Il est apparu une fois de plus clairement que les offres de formation en ruralité ne sont toujours pas bien satisfaites comparé aux zones urbaines.
Cela a été confirmé par les nombreux appels que nous avons reçus pour témoigner de l’intérêt à notre projet lorsque nous avons annoncé qu’il avait été sélectionné dans le cadre du concours d’idées. Beaucoup de gens nous ont dit au téléphone qu’ils souhaitaient aussi pouvoir bénéficier de ce type de services sur place, dans les campagnes, afin de ne pas toujours devoir se déplacer en ville pour y avoir accès. Pour nous, il est essentiel de contribuer à assurer des conditions de vie équivalentes entre la ville et la campagne. Et si des personnes habitant dans des zones urbaines manifestent également leur intérêt, nous les intégrons volontiers dans le projet. Nous sommes très ouverts à l’idée de permettre également un échange entre la ville et la campagne.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’approche intergénérationnelle du projet ?
Nous avons d’excellents exemples de situations dans lesquelles des jeunes et des personnes âgées ont été amenés à se soutenir mutuellement sur certains sujets. J’ai notamment vécu de formidables expériences dans le numérique il y a des années déjà. Souvent, dans ce genre de rencontre, les contenus éducatifs ne sont pas au premier plan. Il s’agit plutôt d’échanger des idées, d’apprendre à se connaître, de surmonter ses peurs et de déconstruire les préjugés. Dans les zones rurales, il est très important de parvenir à une cohésion sociale. Je pense que cette solidarité est probablement plus ancrée dans les villages que dans les villes, mais il n’en reste pas moins que les gens peuvent profiter énormément des connaissances des uns et des autres, en particulier dans le domaine du numérique. C’est encore une autre manière d’apprendre à se connaître.
Que va-t-il se passer ensuite et quel serait, pour vous, le résultat optimal du projet ?
Tout ce que nous faisons actuellement vise finalement à ce que nous puissions, après ces deux années d’expérimentation, passer à la phase suivante de mise en œuvre. Une nouvelle étape de sélection des projets va avoir lieu, et certains pourront alors bénéficier d’aides supplémentaires pour passer véritablement à l’étape de mise en œuvre dans les prochaines années. Pour nous, cela signifierait que nous ne pourrions démarrer non pas avec un seul fourgon itinérant, mais peut-être avec dix, et que notre initiative pourrait être étendue à toute l’Allemagne, ce qui est, pour ainsi dire, notre objectif final. Nous souhaitons bien entendu aussi pouvoir former un grand nombre de personnes, que celles-ci puissent étendre leurs connaissances, qu’elles aient envie de poursuivre dans cette voie. Et, dans le meilleur des cas, que les habitants des zones rurales adoptent une organisation totalement nouvelle, que notre projet contribue à faire naître quelque chose de nouveau, que des liens se tissent et que, peut-être, d’autres projets puissent éclore !

Plus d’informations sur le projet : https://www.leb-niedersachsen.de/das-digitale-dorf-mobil.html
Plus d’informations sur la « Société des idées » : https://www.gesellschaft-der-ideen.de/de/home/home_node.html