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Tiers-lieux: rencontre avec la FÉE - l'association "Faire École Ensemble"

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Pendant la pandémie de Covid 19, les milieux éducatifs ont connu de profonds troubles et ont pu compter sur le soutien des citoyens grâce à quelques initiatives remarquables. Parmi celles-ci, l'initiative Continuité Pédagogique et les programmes proposés par l'association FÉE font figure d'exemple. Nous avons souhaité profiter de ce blog pour en parler et les promouvoir.

Nous avons rencontré Benjamin Gentils, le coordinateur de l'association FÉE. Entre ministère et vie associative, Benjamin nous a retracé son parcours et les convictions qui l'on conduit à questionner l'innovation dans l'éducation. Comment repenser les services publics de l'éducation au regard des communs et des tiers-lieux ?

 

CE QUI M'A CONDUIT À CO-INITIER FAIRE ÉCOLE ENSEMBLE

Benjamin GentilsD'abord, ça fait quelques années que j’explore les tiers lieux à la fois d'un point de vue technocratique, en menant une mission pour un cabinet ministériel qui visait à étudier les liens entre la recherche en sciences humaines et sociales et la participation citoyenne au travers des tiers lieux. C'est à dire un parcours lié à la conception, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques publiques, avec une définition traditionnelle de l'innovation qui est mon champ d'action initial; donc, le lien entre la recherche scientifique d'une part, les entreprises et les administrations publiques, d'autre part. En découvrant les tiers lieux, et notamment tes travaux, je me suis demandé comment on pouvait élargir la définition de l'innovation; c’est-à-dire, transférer la recherche vers les citoyens non pas dans une relation descendante, mais dans une relation ascendante. Et finalement, j'ai trouvé ça dans les tiers-lieux. 

Du point de vue militant, en 2015, j'ai participé à initier une liste citoyenne pour des élections régionales qui a fait un score ridicule mais qui avait pour but de montrer que n'importe qui pouvait rentrer sur le champ politique et se porter candidat à des élections. 

Enfin, entre 2018 et jusqu'à fin 2019. J'ai rejoins le ministère de l'Éducation nationale où j'ai co-initié le Laboratoire d'innovation de l'Éducation nationale. Donc, finalement, dans ce contexte, j'ai pu travailler les sujets qui m'interpellent : la participation citoyenne et des publics dans l'élaboration des politiques publiques et les tiers-lieux dans le contexte particulier de l'éducation.

LE 110BIS – LABORATOIRE DU MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE

Benjamin Gentils : J'ai été recruté pour lancer une démarche d'innovation, d'ouverture, de mise en contribution de la communauté éducative sur des sujets de politiques publiques au sein du ministère de l'Éducation nationale. J'ai fait partie de l'équipe qui a co-fondé son laboratoire d'innovation, le 110 bis qui répondait à la fois à une volonté politique forte du ministre, mais également à un besoin exprimé de l'administration et du secrétariat général en particulier. Il y avait dès le départ plusieurs intentions : une intention de transformation de l'organisation administrative et une intention aussi très technologique, très numérique.

C'était une très belle expérience dans la mesure où elle m'a permis de comprendre le fonctionnement à la fois des ministères mais aussi certaines limites des démarches d'innovation ouverte et de participation lorsqu'elles sont dirigées par une institution publique. C'est à dire que l'institution publique ne vient pas se mettre à la table des autres acteurs. A un rang d'égalité, mais bien en surplomb et dans la commande.

On a réussi sur la convivialité, on a réussi la réunion de communautés diverses et l’émergence de projets. On a moins réussi sur la capacité à mener des projets à leur terme et à rendre leur documentation accessible pour permettre à tout un chacun de se la réapproprier. Et là, on en retrouve finalement une problématique de l'innovation dans la plupart des grandes organisations. C'est comment on passe d'une intention hyper optimiste, hyper ouverte à une intégration des postures sur le long cours par les acteurs. Comment on passe de l'exception à la norme, à la normalisation, à un processus culturel (voir à ce propos la thèse de Marie Alauzen ::https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-02418677/document ).

Par ailleurs, en ce moment, on échange pas mal avec des collègues d'un laboratoire d'innovation ouverte au Québec. Il se trouve que aujourd'hui, en 2021, le ministère de l'Éducation nationale leur a confié la mission de créer leur laboratoire d'innovation ; mais du coup, en externe, c'est-à-dire en association. Le Ministère va financer les sujets qu'il veut aborder. Mais il n'a pas la main sur la gouvernance, ce qui crée des frottements parce que culturellement, ils n’ont pas l'habitude. Je trouve ça super parce qu'il dépasse d'office les limites que j'ai pu sentir.

LA COMMUNAUTÉ TIERS-LIEUX ÉDU

Benjamin Gentils: Ma relation à la communauté Tiers-Lieux Edu, c'est des rencontres formelles et informelles. Avant même mon investissement au sein du 110 bis, je connaissais des membres des communautés de tiers-lieux et de FabLabs. J'ai été amené il y a quelques années à rencontrer des profs qui ont été à l'origine de tiers lieux et du groupe de travail éducations du réseau français des FabLab. J'avais pu rencontrer notamment un prof de technologie basé à Clichy-sous-Bois qui avait monté un FabLab dans son établissement scolaire. Ce prof avait très rapidement intégré que ce qui était intéressant c'était de se servir du lieu pour dépasser les machines. De travailler sur le comment, travailler sur la documentation, travailler sur l'open source. 

Et finalement, ce que je leur ai apporté c’est une mise en lien avec toutes les personnes qui faisait tiers-lieu et notamment le réseau des tiers-lieux libres et open source qui les ont accompagner à la fois dans leur réflexion, mais aussi dans leurs actions. Il y a eu un glissement de : on fait de la la fabrication à l'aide d'outils numériques – ce qui est super pour aller vers de la pluridisciplinarité et le développement des compétences du 21ème siècle ; à : ce qu'on fait, c'est aussi sociétal et on a une responsabilité à l'égard des collègues et du collectif de pouvoir rendre accessible ce qu'on produit par le recours aux licences ouvertes, par la documentation, par le fait de dédier du temps à accompagner nous mêmes d'autres personnes. Et finalement, ce que j'ai apporté à Tiers-Lieux Edu c’est un partage d'expérience dont moi même j'avais pu bénéficier quelques années auparavant. 

Ensuite, dans le cadre de mes activités au ministère, j'ai pu dédier une partie de mon temps à les accompagner de manière plus opérationnelle. Ce qui s'est matérialisé très concrètement par trois temps : deux résidences au sein du laboratoire d'innovation où on travaillait sur des problématiques de structuration d'une association et sur les réflexions autour d'une gouvernance collégiale. Il y aussi eu un BarCamp sur les tiers-lieux dans l'éducation et qui s'est déroulé pendant 48 heures dans le sud-ouest de la France, à la lisière de l'Espagne, dans les montagnes pyrénéennes. Ce BarCamp a permis de réunir à la fois des profs néophytes sur la question des tiers-lieux et de la fabrication numérique, des profs aguerris, des chercheurs, des membres de collectivités et qui, pendant deux jours, ont pu travailler ensemble à se poser des questions à la fois sur, qu'est-ce que c'est un tiers lieu dans l'éducation? Quelles problématiques ça pose? Et un autre sujet plus large, qu'est-ce que fait un tiers lieu aux politiques publiques? Et pourquoi les tiers-lieux ça compte dans les politiques publiques. 

LE COLLECTIF CONTINUITÉ PÉDAGOGIQUE

Benjamin Gentils : Mi-mars 2020, le Président de la République annonce la fermeture des écoles. Et là, avec plein de personnes, certains qui sont profs, certains qui sont des acteurs associatifs investis dans le champ éducatif, des acteurs des tiers-lieux, des acteurs investis sur les questions numériques et notamment du logiciel libre, on discute de manière informelle en se disant que ça risque de pas tenir lundi avec 12 millions d'élèves qui basculent brutalement dans l’enseignement à distance.  Toutes les écoles sont fermées et les 900.000 profs font cours à distance, c'est à dire qu'on se retrouve dans un scénario qui n'a jamais été expérimenté. On fait des exercices de crise dans plein de domaines critiques. Je pense notamment à l'exercice autour de la grande crue centennale. Mais en fait, il n'y a jamais eu un exercice réalisé sur l'enseignement à distance de manière généralisée. 

Donc, on a anticipé parce que chacun, à travers nos parcours divers sentions un risque pour le maintien d'un service public essentiel qu’est celui de l'éducation. On a anticipé qu'il y aurait des problèmes, à la fois de formation des profs parce qu’il était évident que tous n'étaient pas formés à enseigner à distance. Des problématiques aussi de soutien des formateurs numériques de l'éducation nationale. Littéralement, leur charge de travail allait être multipliée par mille. On a anticipé sans en avoir la certitude, que les infrastructures, dans un premier temps, ne tiendraient pas la charge. 

On s'est posé une question simple. Nous, citoyens divers, nous avons une intention commune, aider, soutenir la communauté éducative et apporter notre pierre à l'édifice pour le maintien du service public d'éducation. Et on a réfléchi très rapidement et on s'est dit : bon de notre connaissance dont les choses fonctionnent, les enseignants et les élèves vont se faire écraser par des ressources pédagogiques et éducatives. Par contre, il y a quand même un enjeu à cette formation au numérique et à soulager les formateurs du numérique. Qu'est ce que nous, on peut faire avec nos compétences parce que par exemple, je connais bien l'éducation, je connais bien les réseaux de parents, je suis designer, je suis informaticien, je suis sociologue. Et on s'est dit, là, de manière urgente, qu’il fallait accompagner les profs qui le voudront à monter en compétence sur le numérique pour pouvoir faire école à distance.  On a distingué quatre types profils de compétences numériques  : Profil numéro 1, je suis en capacité  d'aider quelqu'un à créer une adresse e-mail et à envoyer un e-mail parce qu’il y a 12 millions de personnes en situation d'illectronisme en France, les enseignantes et les enseignants n'y échappent pas. Jusqu’à un profil numéro 4 qui était : je suis en capacité d'accompagner la création de scénarios d'apprentissages complexes avec le numérique. 

Donc, le lundi matin on lance un site internet avec un appel à mobilisation citoyenne en disant :  Citoyennes, citoyens! Vous avez des compétences numériques? Nous avons distingué des profils. Vous souhaitez mettre du temps à disposition des enseignants pour les accompagner et bien levez la main. En quelques jours, on avait près de 1000 volontaires. On s'est dit tiens, c'est intéressant, il y a une vraie volonté citoyenne de s'investir sur le champ éducatif pour aider à maintenir un service public qui est autant critique et essentiel que peuvent l'être l'énergie, les télécoms ou le régalien. C'est ça, l'origine du collectif Continuité pédagogique, qui a préfiguré FÉE (qu'on ne pensait pas créer initialement). 

 

FAIRE ÉCOLE ENSEMBLE (FÉE)

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Benjamin Gentils : Sur la période, qui va de mars à mai 2020, un maître mot qui est le CARE. On est tous enfermés chez nous, certains avec des enfants, d'autres qui doivent s'occuper de personnes âgées, certains sont isolés. Donc on sait que c'est compliqué. Et les deux premières personnes arrivées dans le collectif, celle qu'on va chercher, c'est une écoutante et un psychologue du travail. En fait, avant de chercher à prendre soin des autres, on va chercher à prendre soin de nous-mêmes. Il y a trop d'associations qui ont des grands discours mais qui ont une organisation toxique. La première chose, c’est qu'on a essayé d'assurer, c'est le CARE des uns et des autres. Et finalement, malgré la distance, essayer d'assurer une certaine convivialité au sein d'un collectif naissant qui est passé en cinq jours de zéro à 50 personnes.

Ensuite, ça a été comment permettre la contribution des 1000 volontaires sans rajouter de pression sur les enseignants. On n'était pas dans l'injonction et c'est pour cela qu'on y a été doucement. C'est pour ça que que finalement, très rapidement aussi, on est rentrée dans une posture de recherche action, c'est à dire avant d'envoyer 1000 citoyens au devant des enseignants, on leur a demandé d'abord de discuter avec les enseignants autour d'eux, de s'intéresser à leurs difficultés et finalement, de revêtir une petite casquette d'enquêteur pour mieux contextualiser l'environnement dans lequel ils allaient être partie prenante. 

La deuxième chose qu'on a mis en place, c'est une forme de filtre. On récoltait les questions des profs en direct d'un côté sur un chat, et  on avait un autre chat où on posait les questions aux volontaires. On les avait classés par catégorie et ensuite on faisait la courroie de transmission. 

Cela a duré environ 6 semaines, une action très concrète, adossée à une recherche action informelle, lorsqu'on demande aux citoyennes et citoyens volontaires de faire leurs recherches, mais plus formelle, lorsqu'on lance une série de questionnaires autour de ce qu'on a appelé les discontinuités pédagogiques qui permettent d'étudier le vécu de la communauté éducative, aussi bien les parents, les enseignants ou les élèves sur cette prétendue et inégale continuité pédagogique. Il y avait eu un arrêt, puis une reprise, et un certain nombre de variations avec un élément intéressant, c'est que cette étude est extrêmement visuelle et on l'a travaillé avec des sociologues, mais aussi avec des designers et des enseignants. C'est une étude qui a été entièrement co-conçue par des personnes diverses. 

On avait aucune envie de créer "Faire École Ensemble". On était dans l'urgence du moment et on n'avait pas envie de passer du temps à passer d’un collectif informel à une association formelle. Par ailleurs, on avait juste envie d'aider dans un moment de crise mais la participation citoyenne est quelque chose de très inconfortable pour des acteurs traditionnels, c'est-à-dire qu’aussi bien des acteurs publics que des corps intermédiaires se sont dits : mais qui sont-ils? Que font-ils? D'où parlent-ils ? Quelle est leur légitimité à venir en action sur un service public? Ne sont ils pas des opportunistes qui vont chercher à marchander l'éducation en rentrant dans la brèche ouverte par la crise? Ce qui peut s'entendre à l'aune de la stratégie du choc décrite par Naomi Klein, mais ce que je trouve un peu contestable quand je vois ces acteurs que ces mêmes acteurs se tournaient vers les GAFAM pour s’organiser. Je ne suis pas certain qu'ils aient identifié les bons ennemis au bon moment. 

Ce qui est intéressant, en effet, c'est que parmi nous, il y avait des acteurs du public, il y avait des acteurs du privé. C’est-à-dire qu’il y avait des citoyens qui avaient une casquette au quotidien de consultant, de salarié, etc. Il y a eu méprise et c'est pour cela qu'on a créé des statuts et monté une association pour rendre ça extrêmement clair. Parmi ce collectif citoyen, il y avait des chômeurs, des étudiants, des militants associatifs mais aussi, presque un tiers de personnels de l'Education nationale qui sont aussi des citoyens comme tout à chacun, et qui voulaient aider dans une logique d'action citoyenne. Et donc, parmi nous, il y avait  aussi des gens du privé et cela a entraîné un lynchage sur certains réseaux sociaux et un lynchage qui a parfois tourné à la diffamation. 

Ce qui m'a beaucoup touché, non pas que j'ai été attaqué personnellement - ça a peu ou pas été le cas, c’est quand j'ai vu l'énergie que des personnes mettaient à essayer d'aider de manière altruiste et quand d’autres utilisaient leur énergie à détruire une initiative bienveillante. Très clairement à l'époque le collectif Continuité pédagogique n'avait en aucun cas vocation à se structurer d'un point de vue juridique. Et c'est bien la tension qui est née de l'existence d'un acteur informel et sans consistance juridique qui a entraîné une réflexion là dessus. Ensuite, les statuts de l'association sont venus clarifier tout cela - c'est une association collégiale où il n'y a pas de conseil d'administration ; elle est d'intérêt général.

La deuxième chose, qui n'a pas été comprise au début, c’est qu’on est opposé à la starification. C'est à dire qu'il n'y avait pas l'être élu, il n'y avait pas le prophète, le citoyen héros. Il y avait un collectif de personnes qui s’invisibilisait, mais pas qui s'invisibilisait pour se cacher, qui s’invisibilisait  pour montrer les seuls héros qui étaient 900 000, qui étaient les enseignants et qui étaient plusieurs millions qui étaient des parents. Et ça, ça n'a pas été compris. Parce que, en fait, que ce soit les acteurs publics, les corps intermédiaires et même les entreprises, il y a une habitude où s’il y a une organisation il y a une tête. Et bien non, nous c'est une organisation de 50 têtes. En fait, on trouve ça dans pas mal de mouvements décentralisés et numériques, mais ça n'a pas été compris. C'est d'ailleurs pour ça que l'association s'est constituée en collégiale et pas en conseil d'administration. Nous n'avons pas de président au sein de l'association Faire École Ensemble.

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POUR DES COMMUNS PÉDAGOGIQUES

Benjamin Gentils : Et donc on passe plusieurs jours à rédiger des statuts, à faire appel à des juristes complices qui ont bien voulu donner de leur temps. Pendant ce temps là où on ne répondait pas aux urgences de la communauté éducative. Mais on se structure en association ce qui permet quand même de mettre sur la table des statuts et de revendiquer un certain nombre de liens et d'héritages dans nos pratiques. C'est à dire, se dire ouvertement inspiré des pratiques qu'on retrouve dans les tiers-lieux libres et open source. Inscrire dans le marbre que la priorité absolue est accordée à la qualité relationnelle, avant toute chose. Et ça permet de mettre sur le papier un certain nombre de pratiques, de comportements et de valeurs qui étaient évidentes pour tous ceux qui ont fait partie du collectif, et qui avait besoin d'être explicitées à l'égard du monde extérieur. Et du coup, c'était finalement un moment plutôt agréable et utile.

Et donc, on a créé l'association avec d'une part, un conseil collégial qui, est assez représentatif de la diversité parce qu'on y retrouve pour moitié des acteurs de l'Éducation nationale ou très proche de l'Éducation nationale, des enseignants, des formateurs premier degré, deuxième degré, supérieur, de directeurs d'école. Des acteurs de l'éducation populaire et des acteurs qui ne sont pas dans l'éducation, mais qui ont des compétences utiles, qui sont issues de communautés pratiques, je veux notamment parler des designers avec qui on a travaillé sur les recherches, des architectes avec lesquels on a travaillé sur la forme scolaire.  C’était vraiment utile au moment du réaménagement des classes, avec un protocole sanitaire strict et évolutif. Je le rappelle, les profs ne sont pas ergonomes, ni architectes d'intérieur, ni designer. Et si certains ont fait preuve de génie, d'une très forte créativité, et se sont très bien débrouillés tout seuls, il y avait une nécessité à la fois de documenter ce qu'ils faisaient et de le rendre accessible, mais aussi d'aller mobiliser des gens qui venaient de ces corps de métiers. Donc on retrouve dans le conseil collégial : designers, architectes, chercheurs, développeurs, juristes, artistes, praticiens des tiers-lieux, militants des communs. Ce conseil collégial était finalement assez représentatif de la diversité des acteurs qui s'impliquent au sein de l'école ensemble. 

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Finalement, on a aussi ancré sur le papier, trois valeurs cardinales qu’on tire de notre premier exercice : - la convivialité, on fait plein de temps formels et informels, mais le but, c'est que ça soit sympa humainement et qu’on passe un bon moment. La documentation, là, j'ai envie de dire qu’on est un peu des ayatollahs. C'est à dire qu’on a à cœur de rendre accessible ce qui se dit, ce qui se produit. Le recours par défaut aux licences ouvertes pour toutes les productions ou productions. Et ça, finalement, ça nous a permis de créer de la confiance avec pas mal d'acteurs. Parce que finalement, en étant sympa, en ne perdant pas ce qui se disait et en disant que la propriété de ces savoirs est collective, ça mettait les acteurs en confiance. 

Sur cette base là, on a pu, en quelques mois, lancer une douzaine de programmes collaboratifs, qui avaient pour spécificités de réunir des coalitions ou des futures coalitions d'acteurs autour de problématiques saillantes dans l'éducation liées à la crise. Et souvent c'est des problématiques au long cours, quand on parle de forme scolaire, ce n’est pas un sujet qui a débarqué avec la crise. Quand on parle de numérique, ce n'est pas un sujet qui a débarqué avec la crise. Tous les sujets sont des gros sujets dans l'éducation depuis longtemps, mais qui se posaient d'une manière particulière, dans ce cas de crise et c’est à travers ce prisme là, qu’on les a adressés.

Si je fais un saut en avant un an plus tard, lorsqu'on a fait notre assemblée générale, je me suis rendu compte de la mobilisation et de la diversité des communautés de pratiques, que ce soit des collectifs, les juristes, les militants des communs, les acteurs du libre, les acteurs de la médiation numérique etc. Finalement, on a créé des liens très forts avec beaucoup de communautés à l'extérieur de l'éducation. Une des choses précieuses qu'on a réussi à faire, c’est de créer ces liens forts avec des communautés de pratiques avec qui on a une culture différente, un langage différent. On a réussi à se réaligner sur des valeurs et des envies communes qui font qu'aujourd'hui, on arrive à travailler ensemble. 

enseigne code partage

Une autre chose précieuse sur laquelle on travaille depuis plusieurs mois et qui se concrétise aujourd'hui, c'est de dépasser le 1% prof les plus visibles pour toucher plus largement. On essaye de travailler au maximum avec les associations disciplinaires d'enseignants ; l'Association des professeurs de sciences économiques et sociales, l'Association des professeurs de mathématiques, l'Association des enseignants référents aux usages du numérique du premier degré. Se sont des processus lents parce que la confiance ne se construit pas en un jour. La culture de la coopération entre les organisations - François Taddéi parle de planète apprenante, de manière plus modeste, je parle capacité de coopération entre entités - elle n'est pas intégrée dans les cultures et ça nécessite un peu de temps. Mais ça se fait et ça, c'est vraiment hyper enthousiasmant. 

Là, par exemple, la semaine dernière, il y a une association qui réunit un groupe Facebook de 26.000 profs qui s'appelle Profs en transition, il ne précise pas la licence juridique de leurs articles sur leur blog. Par nature c'était fermé. Parce qu’on parlait d'autres sujets sur lesquels on a travaillé ensemble, on a pu aborder le sujet des licences sur leur blog, on a pu les mettre en relation avec un juriste en un quart de tour parce que la confiance est faite avec les communautés de juristes, parce que les juristes ont aussi compris qu'ils avaient un rôle à jouer dans l'éducation. Et ça, c'est plus difficile. 

Et deux dernières choses pour en finir avec Faire École Ensemble, la première, c'est que FÉE ne fait pas à la place de. FEE essaye de penser l'outillage technique, l'ingénierie documentaire, l'animation de communautés pour permettre des mises en action concrètes sur le terrain. On ne va pas faire à la place de tout le monde partout en France. On va essayer de permettre à ceux qui ont envie de passer à l'action de le faire. On est là pour remplacer personne

On commence à avoir fait quelques preuves et je ne peux pas ne pas parler de deux projets qui m’enthousiasment. Et là, finalement, qui ont dépassé le cadre de la crise, c'est à la fois une bibliothèque francophone de plan de conception de matériel pédagogique et de fiches d'usages qui vise à regrouper cette documentation sur un wiki et permettre aux profs, de la maternelle à l'université, toutes disciplines confondues, de pouvoir fabriquer son propre matériel pédagogique. Et ça se traduit très concrètement par des opérations qui vont avoir lieu deux ou trois fois par an : on va mobiliser les FabLab en France, mais aussi au Québec, au Sénégal, au Bénin, pour accueillir des enseignantes et des enseignants et leur permettre d’aller dans un FabLab près de chez eux, concrètement, pour de vrai, s'ils en ont envie, pour fabriquer du matériel pédagogique; documenter ça et le partager avec les autres. 

nuit des ecoles

Le deuxième projet qui m'enthousiasme c’est la nuit des écoles. C'est une action méga locale, c'est dire que ce serait sympa de se retrouver à l'école avant la rentrée avec, de manière volontaire, des profs, des élèves, des parents, des équipes pédagogiques et une association naturaliste voisine. Ca peut être parfois une association qui s'occupe de l’observation des oiseaux, des traces d'animaux, des étoiles ou de l'observation des plantes. Et on se retrouve pour une nuit conviviale à l'école, où on va parler de biodiversité et de développement durable. On va faire un repas partagé, créer du lien. Avant ça, on se retrouve en fin de journée et on fait une balade pour observer la nature et le vivant à proximité de l'école. Ce qui est marrant, c'est que ces balades sont documentées.  On demande aux gens de cartographier.  Le but, c'est qu'il y ait une cartographie européenne - c'est un projet européen, pas francophone ; du vivant à proximité des écoles. Et il y a tellement d'écoles partout, ça maille tous les territoires que tu arrives à une cartographie européenne du vivant qui a été faite de manière démocratique By Design. Et ça rejoint une des questions que l’on traite dans Faire École Ensemble qui est la place du libre et des communs dans l'éducation. 

Je tente de résumer en deux mots ce qu’est aujourd'hui, Faire École Ensemble, c'est de la proximité avec beaucoup de communautés de pratiques extérieures à l'éducation. C'est des liens de plus en plus proches avec tous les acteurs de l'éducation et de l'éducation populaire. Ce sont des projets sur lesquels on essaye de réunir des coalitions d'acteurs divers pour faire ensemble et dans le futur, ça pourrait se matérialiser par la pérennisation de l’association Faire École Ensemble, sur un volet particulier qui est celui de la documentation et du patrimoine informationnel commun. D’autres part, il y a la création d'une autre association, la Fabrique des communs pédagogiques, qui serait une forme d'assistance à maîtrise d'ouvrage qui aurait pour objet d'accompagner des communautés à l'agir par les communs et de réunir des coalitions avec notamment un appui technique et à l'animation de communautés. 

Antoine Burret, coordonnateur thématique EPALE sur les tiers-lieux apprenants

 

 

 

 

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