"De fille de fermiers immigrés et analphabètes à normalienne, agrégée et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle!"
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Bio
De prime abord, ma biographie ressemble à une "success story" de la classe moyenne française : j'ai obtenu la meilleure moyenne au baccalauréat, j'ai été admise à l'École normale supérieure et j'ai fini par enseigner à la Sorbonne pendant des années. En lisant entre les lignes, on comprend que mon histoire est un parcours de guérison : fille de fermiers pauvres, immigrés et analphabètes, j’ai bénéficié de l'éducation du service public pour ensuite gravir l'échelle sociale et puis j’ai tous mis en œuvre pour transmettre mes connaissances aux autres.
Mon histoire
Mon plus vieux souvenir d'apprentissage ? Il concerne l’enseignement. Il faut m’imaginer à 6 ans, dans ma ferme, devant une rangée de poireaux bien alignés. Je leur raconte ce que mon institutrice m'a dit pendant la semaine (j'étais en pension à Ajaccio, en Corse). Ils étaient très attentifs et très réceptifs. Mon institutrice était gentille avec moi, dans un environnement plutôt rude où le harcèlement était monnaie courante. Alors, au printemps, chaque lundi, je lui apportais des iris d'eau sauvages, qui poussaient près de notre ruisseau. Depuis lors, j’associe l'apprentissage à un intense parfum terreux, qu’on appelle « petrichor » (j'ai fini par apprendre le mot), et à des fleurs scintillantes mais timides. Ce que j’aime dans l’apprentissage ? Il est à la fois transparent et secret, et on le découvre souvent par hasard, au détour d’un chemin.
Ma famille est issue d'un milieu d'immigrés pauvres, avec un niveau d'alphabétisation minimal. Mon père a arrêté ses études à 12 ans pour partir à la guerre civile espagnole. Ma mère a arrêté à 14 ans pour l'unique raison que c'était une fille… C’était la fin de leur développement. Quand j'avais 12 ans, je me levais tôt le matin, avant que mon père n'aille au marché, et je faisais mes devoirs avec lui. Il ne se contentait pas d’écouter. Il m’encourageait et me donnait de conseils basés sur son expérience en tant que migrant :
« Apprends autant que tu le peux ! Les connaissances ne prennent pas de place et elles t’accompagnent partout où tu vas ».
Alors que je continuais d’absorber le plus de connaissances possible à l'école, j’ai finalement compris que tout le savoir ne se trouvait pas dans les livres. Mes parents débordaient de connaissances qu’ils n’avaient pas apprises à l’école. Quel était leur secret ? En les observant, j'ai fini par comprendre : les médias ! Ils ont collecté des informations en écoutant la radio et en discutant avec d'autres adultes de l’actualités dans les journaux.
Mais, les médias n'étaient pas une ressource utilisée par l’école. J'ai donc entamé une sorte de double vie : à l'école, j'étudiais les médias dits « intellectuels » (cinéma et livres) ; à la maison, j'utilisais les médias plus accessibles (télévision, radio, bandes dessinées). Cette dichotomie existe encore aujourd'hui dans de nombreux pays et systèmes scolaires. Ce n’est qu’en 1983, quand je suis entrée à Stanford, que j’ai compris qu’on pouvait faire autrement. Là-bas, les médias étaient partout et en constante évolution. Les pionniers de l'informatique avaient une vision de la manière dont ils pouvaient « libérer l'information » et, ce modèle co-constructif faisant, transformer l'apprentissage. La principale révolution pour moi a été le passage d'un modèle de transmission dit descendant à uncentré sur l'apprenant et fondé sur la recherche. Il s'accompagnait de toute une série de stratégies d'apprentissage actif.
C’est à partir de ce moment-là que j'ai compris que la culture numérique était, selon moi, composée de trois cultures de l'information: médias, documents, données. J'ai étudié tous les aspects du domaine naissant de l'éducation aux médias avec ma propre théorie de la translittératie, afin d'aider mes collègues à transformer leur enseignement et, finalement, à fournir aux jeunes et aux adultes les moyens de donner un sens à leur environnement médiatique numérique. Au niveau politique, j'ai fait pression pour que le terme « information » soit ajouté à l'éducation aux médias (éducation aux médias et à l'information, EMI), dans la Déclaration de Fès de l'UNESCO (2011), après avoir participé au Sommet mondial sur la société de l'information (2003-05).
Étant moi-même devenue professeure d'université, j'ai saisi l'occasion d'enseigner via la plateforme d'apprentissage en ligne de la Sorbonne Nouvelle. J’y retrouvais tous types d'étudiants, notamment des adultes qui reprenaient leurs études tout en travaillant. J'ai créé un programme de master en ligne, AIGEME, comportant deux voies, l'une pour l'apprentissage en ligne, l'autre pour l'éducation aux médias et à l’information. J'ai également rejoint le projet européen ECO, qui a développé certains des premiers MOOC européens. Depuis lors, j'ai toujours essayé de joindre le pouvoir transformateur de l'enseignement avec les médias (e-learning) et sur les médias (EMI), à l’aide du modèle basé sur la recherche. L'apprentissage tout au long de la vie et dans tous les domaines de la vie me paraît tout à fait logique, car il peut avoir lieu n’importe où : à la maison, au travail, à l'étranger. Et, surtout, les connaissances ne prennent pas de place !
Issue d'un milieu modeste, l'apprentissage n'est pas accessoire, c'est une esthétique de vie décorée d’iris. Ma motivation ? Continuer à contribuer au récent domaine de l’éducation aux médias et à l’information, qui ne cesse d'évoluer au rythme des médias.
J'aime devoir répondre à des questions difficiles, comme l'explication des mécanismes complexes de la désinformation et la construction de contre-récits. J'ai fondé Savoir*Devenir, une association qui a un pied dans le monde universitaire et un pied dans la société civile, pour aller chercher les adultes et les former en matière d'EMI . Savoir*Devenir tire profit des trois cultures de l'information, pour toujours être au fait des dernières actualités et interagir avec les médias. L’association est comme une bouffée d’« AIR » frais : analyser, interpréter, réagir.