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Transition écologique : créer une formation ex-nihilo

L’exemple de la mise en place d’un module de santé environnementale

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Damien Amichaud

L’histoire d’une petite équipe motivée par un projet porteur de sens et qui est rapidement parvenue à bousculer les lignes.

Bonjour Dr Marine Sarfati, vous êtes médecin rhumatologue et responsable de la formation en santé environnementale à la faculté Lyon Est et vous avez été à l’origine de la mise en place d’un module de santé environnementale, obligatoire pour tous les étudiants de médecine dès septembre 2023. Pouvez-vous nous décrire son contenu, ses objectifs pédagogiques, son format et sa philosophie ?

Bonjour,

Nous avons en effet, avec le soutien de la conférence des Doyens des Facultés de Médecine en France, mis en place un module pédagogique numérique national qui vise à présenter les déterminants de la médecine et de la santé environnementale. Il s’agit d’un module relativement court (6 heures de formation, avec une vingtaine de vidéos de 15-20 minutes chacune), divisé en 4 blocs thématiques. Nous souhaitions réaliser une véritable introduction à la médecine et à la santé environnementale pour que l’apprenant comprenne les enjeux de la crise environnementale actuelle, en tant que citoyen et futur soignant.

L’objectif est de montrer qu’il faut faire évoluer la vision anthropocentrée (centrée sur l’humain) actuelle du système de santé vers une vision plus globale, où la santé humaine serait intégrée à l’environnement animal, et plus généralement à l’écosystème planétaire. Nous détaillons pour cela les approches non anthropocentrées de la santé (comme l’approche santé planétaire ou « One Health ») et les grandes limites planétaires (changement climatique, érosion de la biodiversité, pollution par de nouvelles entités...) ainsi que leur lien avec la santé humaine. Il s’agit de montrer leurs interconnexions, et donc l’importance d’adopter une vision systémique.
Pour une meilleure compréhension du sujet,
nous avons également proposé des vidéos sur l’histoire de la santé humaine et sur la philosophie de l’environnement par exemple. Enfin, et cela a particulièrement été demandé par les étudiants, nous avons construit un bloc leviers d’action qui présente, une fois que tous les constats ont été dressés, les points clefs pour limiter son impact environnemental en tant que citoyen et futur soignant. Il ne s’agit cependant pas de faire culpabiliser les étudiants et la vidéo de conclusion réalisée par un docteur en neurosciences cognitives détaille les notions de biais cognitifs et explique l’importance de la dynamique entre les facteurs individuels et systémiques.

Cette formation est également adaptée aux étudiants des autres filières du soin (pharmacie, maïeutique, odontologie…) et sera a priori déployé auprès de ce public. Du fait des caractères globaux et généraux des concepts, elle peut également être étendu à la formation continue et à tous publics désirant se former sur les liens entre santé et environnement.

Revenons sur les conditions de succès de cette initiative aussi rapide dans sa mise en place qu’ambitieuse dans ses objectifs : le projet n’est pas venu des institutions comme cela est couramment le cas, mais plutôt d’initiatives individuelles et citoyennes.

Pour remonter aux racines du projet, il faut remonter début 2020, lorsque je rejoins un think tank qui œuvre pour la transition énergétique, The Shift Project, à la section Santé. Je mène alors une enquête[1] pour savoir ce qui existe en termes de formation aux enjeux environnementaux pour les étudiants en santé en France: si quelques formations existent, elles restent rares. En parallèle, nous interrogeons près de 3300 étudiants en santé en France (dont la moitié en médecine) et les réponses sont assez claires : 84% d’entre eux souhaitent être formés aux enjeux environnementaux. Pour comprendre cette inadéquation entre la volonté des étudiants d’être formés et le manque de cours existant, je vais alors interviewer des experts du domaine de la santé, dont le président sortant de la conférence des Doyens à ce moment, Pr Jean Sibilia, les directeurs d’étude des écoles de Santé Publique en France (EHESP, ISPED), et des personnes travaillant sur ces sujets au ministère de la Santé et de la Recherche. Je suis alors étonnée mais très agréablement surprise de m’apercevoir que tous ces acteurs souhaitent le développement de formation dans nos cursus. Ils sont convaincus de l’importance de ces sujets et conscients de la demande des étudiants. La formation répond même à un point du PNSE/PRSE (Plan National/régional Santé Environnement).

Ce qui est délicat, c’est que la santé environnementale, est un domaine complexe, qui requiert de la multidisciplinarité, mais aussi le décloisonnement des filières et la formation des professeurs eux-mêmes car ils n’ont pas non plus été formés. Autant de barrières qui rendent son déploiement plus compliqué, en plus de la densité des programmes déjà en place.

Concernant le format pédagogique du module, pouvez-vous revenir sur l’intérêt de ce format de MOOC mêlant interventions d’experts et tables rondes ? Quels difficultés et leviers avez-vous rencontrés dans sa mise en place ?

Pour contrer ces obstacles, nous avons opté pour un format court (du fait des programmes déjà denses) et numérique, pour fournir à chaque faculté un module « clef en main » directement disponible sur la plateforme numérique des étudiants en santé (UNESS).

Pour que l’expérience utilisateur soit la plus « vivante » possible en ligne, nous avons pris le soin de choisir des experts de chaque sujet (et passionnés en général !), et de varier les formats : power point commentés filmés, interviews, vidéos avec animations pédagogiques et tables rondes. Les tables rondes ont été choisies pour incarner la diversité des profils, des parcours, des points de vue dans les différentes questions traitées. Il s’agissait de présenter différentes propositions d'avenirs soutenables et souhaitables et différentes approches de la médecine et c’était donc plus logique sous cette forme.

La construction du programme pédagogique a été effectué en binôme avec Raphaël Guttières, qui a une thèse de sciences en écologie et biogéochimie, et travaille à l’Institut de la Transition Environnementale de Sorbonne Université. La complémentarité créée entre un chercheur et un médecin a été je pense bénéfique pour avoir une vision d’ensemble du sujet.

Un autre atout était d’être épaulés par deux doyens de médecine, Pr Jean Sibilia (doyen de la faculté de Strasbourg) et Pr Gilles Rode (doyen de la faculté de Lyon Est) ainsi que d’avoir constitué une équipe d’étudiants et étudiantes pilotes de médecine (4 de Lyon Est, 2 de Sorbonne Université, 1 de Paris Cité) qui nous ont aidé à réaliser le programme et à vérifier que nous répondions bien aux attentes du public concerné.

Le projet a dans ce contexte été bien accueilli par l’ensemble de la Conférence des Doyens des Facultés de Médecine. Nous sommes d’ailleurs maintenant en train de développer un Réseau Universitaire de Santé Environnementale (RUSE) en France, comportant un enseignant-chercheur par faculté de médecine pour consolider la diffusion du module et de l’approche santé environnementale dans les études de médecine, sur le campus des facultés et en recherche.

Les étudiants vont suivre un MOOC qui déborde du cadre traditionnel du cursus de médecin : on y parle pollution des écosystèmes par les molécules des médicaments que nous prenons et qui se retrouvent dans l’eau, émissions de carbone d’un hôpital, relation philosophique à l’environnement, évolution des métiers et des pratiques dans un monde face à des défis sans précédent, etc. Quel but était poursuivi ?

Comme je le disais plus haut, le domaine de la santé environnementale est complexe, car l’environnement peut être vu schématiquement comme des interactions permanentes entre les domaines de la biologie, la chimie, la physique etc. Les enjeux sont globaux avec des interconnexions multiples (par exemple, urbanisation et perturbation du cycle de l’eau, ou déforestation, perte de biodiversité et changement climatique). Pour aider à la compréhension de cela, il fallait selon nous fournir des explications d’experts de formations différentes et complémentaires. Nous avons donc opté pour un enseignement multidisciplinaire avec des intervenants divers et variés (médecins, biologistes, écologues, urbaniste, hydrologue, paléontologue, ingénieurs, docteurs en sciences de gestion, en sciences politiques...).

Des experts développent le concept de santé globale (One Health), c’est-à-dire comment la santé humaine est affectée et affecte la santé des autres êtres vivants. Concrètement, que retenir de cette idée et comment pourrait-elle se traduire sur le terrain ?

Le « One Health » c’est un concept développé au début des années 2000 et particulièrement porté par les vétérinaires : il s’agit de promouvoir une approche systémique et unifiée de la santé animale, humaine et des écosystèmes. Il serait maintenant judicieux que les experts de la santé humaine l’adoptent également. La pandémie de Covid-19 a été finalement malgré tout une bonne « publicité » du mouvement : les scientifiques et le grand public ont commencé à être convaincus de l’importance de la prise en compte des écosystèmes pour éviter les prochaines pandémies (alors que le lien entre érosion de la biodiversité et émergence de pandémies est bien connu[1]). On pourrait par exemple imaginer la création ou le développement d’équipes multidisciplinaires vétérinaires-médecins-écologues pour étudier les « hot spot » de pandémies et guider les politiques de santé humaine/animale à mettre en place en conséquence.

Une première session a été inaugurée ce début d’année pour les étudiants de Brest. Quelle a été la réception de cette nouveauté par cette première promotion ?

Plus de 170 étudiants en 3ème année de médecine de Brest ont déjà réalisé la formation à ce jour. Nous sommes ravis des premiers retours qui sont très encourageants : « Les intervenants sont clairs dans leurs propos et très intéressants. Le fait également qu'ils ne soient pas tous du domaine de la santé est hyper enrichissant et nous permet de se rendre compte qu'on peut se mobiliser en tant que citoyen et pas uniquement en tant que médecin. J'ai apprécié le format de débats ou de tables rondes. » témoigne une étudiante. Le concept de « One Health » a justement été apprécié par les étudiants qui n’avaient jamais entendu parler de ce concept avant la formation pour 55% d’entre eux (24% n’étaient pas sûrs et 21% répondaient oui).

Cette entrée de la thématique de la Santé Environnementale dans tous les cursus des étudiants en médecine constitue une première pierre à l'édifice de la construction de l'approche une "Seule Santé/Santé Globale" et est un signal fort et encourageant pour les futurs praticiens de santé. Cela reste cependant une aventure à suivre et à consolider !

 

Formation bientôt disponible en formation libre sur le site de l’UNESS : https://formation.uness.fr/ouverte/login/index.php

Chaîne YouTube du module où sont hébergées les différentes vidéos :  https://www.youtube.com/@medecinesanteenvironnement

Site de la conférence des Doyens des Facultés de Médecine où figure notamment le programme : https://conferencedesdoyensdemedecine.org/lancement-du-module-pedagogique-de-medecine-et-sante-environnementale/


[2] Morand S, Lajaunie C. Biodiversity and COVID-19: A report and a long road ahead to avoid another pandemic. One Earth. 2021 Jul

 

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