Proposition de mise en oeuvre d'un test de personnalité dans un bilan de compétences

1 Introduction
Il existe différents modèles scientifiques pour décrire la personnalité. Mais le modèle le plus partagé et le plus documenté scientifiquement est, sans conteste, le modèle dit « big five ». Il est appelé ainsi car il est composé de cinq grands facteurs, eux-mêmes composés de différentes facettes.
Plusieurs tests de personnalité sont construits à partir de ce modèle. Le plus utilisé par la communauté scientifique, mais également les recruteurs ou les conseillers en tout genre est le NEO-Pi conçu par Costa et McCrae, et adapté en français par Jean-Pierre Rolland.
« NEO » pour l’initiale des 3 grands facteurs : Névrosisme, Extraversion et Ouverture. En effet, Costa et McCrae ont débuté leurs travaux sur la personnalité au début des années 1980 et à cette époque, ils n’envisageaient que 3 facteurs. Et « Pi » pour Personnality inventory (inventaire de personnalité en français). Puis au fur et à mesure des études scientifiques menées sur les dimensions de la personnalité, deux autres grands facteurs sont venus s’ajouter : l’Agréabilité (A) et le caractère consciencieux (C). Le NEO-Pi mesure donc aujourd’hui les 5 grands facteurs sans que son nom ait changé.
Pour aller plus loin sur l’histoire du développement des études sur la personnalité, on peut se reporter à l’article « Histoire des « Big Five » : OCEAN des cinq grands facteurs de la personnalité ; Introduction du Big Five Inventory Français ou BFI-Fr » (Plaisant & al., 2009).
Le NEO-Pi est donc le test de référence. Mais pour un usage dans un accompagnement à l’évolution professionnelle par exemple, il présente deux caractéristiques peu opérationnelles :
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il est très long avec ses 240 items. Les personnes accompagnées sont unanimes et le disent au professionnel à la fin de leur passation
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composé des 5 grands facteurs et de 6 facettes par facteur, cela fait pas moins de 30 dimensions à appréhender par la personne. Autant dire un niveau de précision difficile à comprendre d’un point de vue cognitif et encore plus à mémoriser.
C’est pourquoi nous faisons le choix, dans la méthode présentée dans ce document, d’utiliser le questionnaire Big Five Inventory (BFI). Il s’agit d’un test de personnalité suivant le modèle des big five également. Il présente un long historique de développement scientifique et fait l’objet de traduction dans de nombreuses langues. Et il présente surtout l’avantage de mesurer les cinq grands facteurs avec 60 items seulement. Par ailleurs, avec ses 60 items, il évalue pour chaque facteur, 3 facettes principales parmi les 6 du modèle original. Il est donc opérationnellement plus simple à mettre en œuvre et plus facile à comprendre pour la personne accompagnée.
2 Mettre en œuvre le test de personnalité BFI-2-Fr
Comme je l’ai déjà expliqué dans le cadre de la méthode EPCR et l’évaluation des intérêts professionnels, le terme de « restitution » ne convient pas lorsqu’on se donne pour objectif d’aider la personne accompagnée à découvrir et à comprendre son propre fonctionnement tel qu’un test psychométrique peut le révéler.
En effet, par expérience, faire une « restitution » au sens de « présenter » et « expliquer » les résultats à la personne après sa passation du test se révèle inefficace. Pour preuve, dans un bilan de compétences, la personne est vue régulièrement à raison d’une à deux rencontres par semaine pendant un mois ou un peu plus. Le professionnel fait alors souvent le constat qu’une restitution classique lors d’une rencontre est souvent oubliée lors de la rencontre suivante. Si la personne acquiesce aux propos du professionnel et semble montrer tous les signes d’une bonne compréhension des résultats, force est de constater que sa mémoire ne conserve rien.
Il convient donc de procéder différemment et c’est l’objet de la méthode proposée ici.
Remarque valable pour tout type de test psychométrique : Par expérience, il est préférable de faire une passation pour soi-même pour bien maîtriser le contenu du questionnaire et des items. Mais également de faire l’exercice des jetons avec ses propres résultats pour s’entraîner et choisir la technique avec laquelle on est le plus à l’aise. |
2.1 Etape 1 : la passation du questionnaire BFI (Big Five Inventory)
La première étape est tout à fait classique. La personne va répondre aux items du questionnaire (il est disponible à cette url : BFI-2-Fr ). Ensuite, la personne va prendre connaissance de son profil suivant les 5 facteurs. Deux situations se présentent :
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La personne est en présentiel : le professionnel l’accompagne dans la découverte de son profil. Il veille à bien aborder les points suivants :
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attirer l’attention de la personne sur la gamme des scores possibles. En l’occurrence de 12 à 60 points. C’est en effet inhabituel d’avoir un score sur 60 et encore plus de commencer à 12
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expliquer le principe de l’étalonnage. En effet, il faut centrer son attention sur le score étalonné car c’est celui qui donne la référence. Un score brut de 38 ne veut rien dire en soi dans la mesure où l’on ne sait pas si c’est un score obtenu par beaucoup ou pas beaucoup de personnes. Et il ne veut rien dire non plus puisqu’il n’a pas la même signification s’il est obtenu par une femme ou par un homme.
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Bien préciser que le test « big five » mesure des comportements « normaux ». Même un score en névrosisme le plus élevé ne permet pas de dire qu’il s’agit d’un comportement pathologique
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demander à la personne si elle a des remarques, répondre à ses questions
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demander à la personne de donner des exemples de sa vie quotidienne qui pourraient illustrer les scores obtenus. S’assurer que la personne attribue correctement l’exemple qu’elle donne au facteur qui lui correspond
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La personne réalise la passation dans un temps interstitiel (entre deux rencontres). Le professionnel lui donne ses indications pour réaliser la passation. Il lui conseille d’écrire ses questions et ses remarques pour leur prochaine rencontre. Lors de leur rendez-vous suivant, le professionnel reprend les points ci-dessus (cas présentiel)
Dans tous les cas, le professionnel demande à la personne d’illustrer par des exemples. Ces illustrations poursuivent un double objectif, c’est à dire s’assurer que la personne a compris :
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le périmètre de chaque grand facteur
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le lien entre l’évaluation de sa personnalité et ses comportements dans sa vie quotidienne
A ce stade, il convient de ne pas demander trop d’exemples, car cela viendrait empiéter sur l’étape suivante. A la fin de cette séquence, le professionnel s’assure que la personne :
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maîtrise bien le périmètre et le contenu de chacun des 5 grands facteurs
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a pris connaissance de ses scores bruts et étalonnés et qu’elle a compris le sens de ses résultats
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est d’accord avec la description renvoyée d’elle-même par ses scores sur les 5 facteurs
2.2 Etape 2 : approfondir la connaissance de soi par l’exploration des facettes
Chaque grand facteur est composé de facettes, c’est à dire de dimensions de 2ieme niveau qui viennent décrire le contenu du facteur. Par exemple, le grand facteur extraversion est expliqué par les 3 facettes :
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sociabilité : aimer, ou pas, être en présence de beaucoup de personnes
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assertivité : avoir, ou pas, de l’assurance dans sa prise de parole
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niveau d’énergie : présenter, ou pas, un niveau d’activité, un dynamisme élevé
Dans le questionnaire BFI, chaque facette est évaluée par 4 items. Le score brut pour un facteur correspond à la somme des scores des 4 items des 3 facettes, donc 12 items.
Nous allons utiliser ce principe de construction du test pour aider la personne à découvrir la composition de son propre comportement sur chaque facteur. En effet, de nombreuses combinaisons sont possibles. Une forte extraversion peut s’expliquer par une forte sociabilité + une forte assertivité + un niveau d’énergie moyen OU une sociabilité moyenne + une assertivité moyenne + un fort niveau d’énergie etc …
Pour faire ce travail, le professionnel va accompagner la personne dans l’estimation qu’elle fait du niveau de chacune des facettes. Il s’agit d’une approche dite « idiosyncrasique ». Le score brut pour le facteur étant connu, il s’agit maintenant de répartir ce score brut entre les 3 facettes. Et l’opération sera répétée pour les 5 facteurs.
Dans cette seconde séquence, le professionnel va amener la personne à se mettre en réflexivité sur son propre comportement, sa façon de réagir dans telle ou telle situation qui sollicite le contenu de la facette concernée.
Pour cela, le professionnel va donner à la personne des jetons. Nous pourrions faire ce travail en griffonnant des chiffres sur chaque facette mais, par expérience, lorsque le score est élevé, la personne a des difficultés à bien répartir le score brut sur les 3 facettes en faisant ses calculs de tête. En utilisant des jetons, il n’y a plus de calcul mental à faire et la démarche devient ludique, ce que les personnes apprécient en général.
On peut facilement se procurer des jetons plastiques pour quelques €uros au rayon ludothèque ou sur le web :

En plus des jetons, le professionnel va utiliser le support présenté en annexe de ce document. Il s’agit d’une feuille, format A4, qui reprend :
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le facteur concerné avec un rapide descriptif du sens des scores faibles et forts
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les 3 facettes du facteur avec une présentation synthétique suivies d’un rectangle pour poser les jetons
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une zone pour noter les illustrations de la personne
Cette séquence est préparée en amont de la réalisation. Il s’agit de :
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préparer les jetons
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imprimer les 5 feuilles supports (cf. annexe)
Le principe est le suivant : le professionnel donne des jetons à la personne et elle doit répartir les jetons entre les trois facettes. Elle dépose un petit nombre de jetons dans le rectangle en face de la facette lorsqu’elle estime qu’elle se situe sur le côté des scores faibles de cette facette. Et, à l’inverse, elle dépose un nombre plus grand de jetons si elle estime se situer sur les scores élevés de cette facette. Elle doit répartir l’importance accordée à chaque facette de sorte à déposer tous les jetons sur la feuille.
Pendant la réalisation de cette tâche, elle verbalise son raisonnement à voix haute. Le professionnel va alors noter les illustrations que donne la personne pour expliquer son choix du nombre de jetons. Le professionnel guide le raisonnement en s’assurant que la personne donne des exemples de situation qu’elle a déjà vécue et qui illustre la facette concernée.
2.2.1. Mise en œuvre
Le professionnel pose la feuille du 1er facteur (extraversion) devant la personne et dans le sens de la personne accompagnée. La feuille est donc à l’envers pour le professionnel. C’est pour cela qu’il faut bien maîtriser le contenu des facteurs et des facettes.
Le professionnel donne la consigne à la personne qu’il accompagne
« voici un support avec tous les contenus du facteur « extraversion ». En haut vous retrouvez une synthèse des deux pôles avec, à votre gauche, le pôle des scores faibles qui correspond plutôt à l’introversion. Et de l’autre côté, à votre droite, les scores plus élevés qui correspond à l’extraversion. En-dessous, vous trouvez les trois facettes qui composent ce facteur : la sociabilité, l’assertivité et le niveau d’énergie. Chaque facette possède également deux pôles : score faible et élevé. Vous allez répartir ces jetons en trois paquets de sorte à attribuer à chaque facette un nombre de jetons correspondant à votre perception du niveau de chacune : un faible nombre de jeton si vous pensez vous situer du côté des scores faibles de la facette et vice versa. Ce que je vous demande, c’est de verbaliser à voix haute votre raisonnement pour décider du nombre de jetons à mettre sur les facettes. N’hésitez pas à me donner des exemples, des illustrations de votre vie quotidienne qui correspondent à ces trois facettes et qui vous amènent à décider de ce nombre de jetons » |
Le professionnel écoute les illustrations et guide la réflexion de la personne. Si besoin, il revient sur le contenu des facettes s’il se rend compte que la personne donne aux facettes un contenu qui ne lui correspond pas. Il peut s’aider des textes synthétiques qui se trouvent sur la feuille support.
L’objectif opérationnel de cette séquence est d’amener la personne à se mettre en réflexivité sur ses comportements quotidiens en lien avec les facteurs et les facettes.
2.2.2. Sur le nombre de jetons
Le nombre de jetons à donner à la personne correspond au score brut du facteur concerné. Mais si le score est élevé (par exemple 48), la manipulation des jetons peut devenir compliquée. On peut alors procéder de différentes manières :
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préparer des piles de 10 jetons en avance pour éviter de devoir les compter et être fastidieux et long dans la manipulation
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faire le choix d’un nombre plus petit et fixe de jetons pour tous les facteurs. Par exemple 12 jetons à répartir entre les 3 facettes. Ou encore 18 jetons pour introduire plus de différences entre les facettes
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on peut également faire abstraction du nombre de jetons. Juste donner une poignée de jetons et demander à la personne de les répartir entre les trois facettes. Car ce qui importe le plus, ce sont les verbalisations de la personne.
Le plus important dans cette séquence, ce sont les verbalisations de la personne pour illustrer son choix de nombre de jetons à déposer. C’est également d’échanger sur la répartition des jetons entre les 3 facettes. Car cette répartition peut être assez homogène entre les facettes ou au contraire hétérogène. Il n’y a évidemment pas de bonne et mauvaise répartition, mais en s’exprimant sur les raisons de ce choix de répartition, la personne va conscientiser ce qui, chez elle, construit la dimension concernée.
Et cette séquence est répétée pour les 5 supports des 5 facteurs
2.2.3. Illustration avec la dimension Extraversion

Pour avoir fait ce travail avec de nombreuses personnes, je me suis rendu compte que les 4 facteurs E, A, C et O sont assez faciles à illustrer par la personne.
Mais le facteur N, névrosisme, peut être plus compliqué à aborder. Je le présente donc en dernier pour éviter de casser la dynamique des jetons qui fonctionne bien avec les autres facteurs. Et si le contenu des facettes de ce facteur N, met la personne en trop grande difficulté, alors je lui propose de s’en arrêter là et de reprendre ce facteur plus tard, dans le bilan de compétences, si elle le souhaite. Dans cette situation, généralement la personne profite des temps interstitiels entre deux rencontres pour réfléchir par elle-même sur ce que cet exercice a déclenché en elle et on revient dessus, à sa demande, mais de manière moins formelle, sans les jetons.

2.3 Etape 3 : la fin de la séquence BFI-2-Fr
Les 5 supports utilisés pour la répartition des jetons sur les trois facettes sont des documents de « trace » du travail d’accompagnement réalisé. Il peuvent être versés aux documents remis en fin de prestation. Ils seront plutôt dans les annexes du document de synthèse.
Par ailleurs, comme les jetons ne restent pas sur la feuille, le professionnel prendra le soin de noter le nombre de jetons que la personne a déposé dans la case en face de chaque facette. Cette « trace » est importante pour que la personne puisse retrouver, à tout moment, ses propres éléments d’argumentation. Elle peut également, si elle le souhaite, partager ces éléments avec les personnes de son entourage qui la connaissent bien afin de leur demander leur avis dans une forme d’évaluation à 360 degrés.
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4 Ressource
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