Le solutionnisme technologique


Cette fiche a été rédigée par Irénée Régnauld et Yaël Benayoun pour le collectif Le Mouton Numérique en 2021.
Contexte : une défection des États dans la prise en charge des problèmes sociaux
La formule « solutionnisme technologique » est vulgarisée par le chercheur américain Evgeny Morozov, dans son livre L’aberration du solutionnisme technologique. Pour tout résoudre, cliquez ici (FYP, 2014).
Le livre de Morozov est publié à un moment bien particulier de l’histoire du numérique et d’internet. On assiste à une importante massification des équipements et des usages numériques. Une part de plus en plus importante de la population mondiale est équipée d’un smartphone, et les objets connectés « grand public » font leur entrée dans de nombreux secteurs. Or ces nouveaux usages arrivent dans un contexte de graves crises économiques et sociales (2007-2012) dont nous ressentons encore les répercussions aujourd’hui. Les politiques publiques mises en œuvre par les États apparaissent fortement insuffisantes pour répondre à cette urgence sociale, en particulier aux États-Unis qui ont une faible culture interventionniste. De ce fait, les entreprises technologiques de la Silicon Valley, en Californie, vont se positionner sur de nouveaux marchés à prétention sociale en proposant des solutions numériques clé-en-main, souvent peu chères et faciles à exécuter, pour régler un certain nombre de problèmes sociaux imparfaitement pris en charge par l’État.
Ainsi dans la santé, applications mobiles et « fourchettes intelligentes » surveillent le nombre de calories consommées par un individu, dans le but de prévenir les problèmes d’obésité. Côté environnement, la « poubelle connectée » permet de mieux trier ses déchets et de s’en vanter sur les réseaux sociaux. Dans le domaine de la sécurité, des systèmes algorithmiques brassent quantité de données pour anticiper l’endroit et le moment où des activités criminelles pourraient survenir.
Conséquences politiques : des problèmes sociaux réduits à de simples considérations techniques
Le fait que des entreprises du secteur privé se positionnent sur des missions qui relèvent habituellement du service public n’est pas neutre. Cela modifie profondément la nature et la visée des services et accompagnements prenant en charge des problématiques d’ordre social.
Premièrement, on observe une « ingénierisation » des problématiques sociales. Les technologies dites solutionnistes reposent sur la réduction d’un enjeu social complexe et multifactoriel (sécurité, justice, éducation, santé…) à un problème quantifiable et modélisable. Dans le domaine alimentaire et sanitaire par exemple, la « fourchette intelligente » dit quoi manger, mais ne permet pas de comprendre pourquoi la nourriture est devenue si grasse, ou pourquoi nous ne marchons pas assez et dormons trop peu. Autrement dit, il s’agit de pallier, de la manière la plus efficace possible, un problème individuel (ici, une mauvaise alimentation). Mais il ne s’agit en aucune façon d’en comprendre les causes structurelles pour agir en profondeur dessus (lobbying des industries agro-alimentaires, publicité, infrastructures non adaptées à la marche…). Ainsi décontextualisées, les solutions proposées courent le risque d’être hors sol et totalement inappropriées aux problématiques rencontrées par les travailleurs sociaux et les personnes concernées.
Deuxièmement, les technologies dites solutionnistes sont bien souvent accompagnées d’un discours visant à sur-responsabiliser les individus pour les problèmes sociaux – et de plus en plus environnementaux – qu’ils rencontrent ; ce qui revient dans le même temps à déresponsabiliser les États et à légitimer le cas échéant leur désengagement. C’est ainsi qu’en 2011, les habitants de la Courneuve (Île-de-France) ont été conviés par les élus à réduire leur consommation énergétique par tous les moyens. Pourtant, la situation de stress énergétique que connaissait le territoire était due à un choix politique : les élus avaient laissé s’implanter sur le territoire un grand nombre de data centers (centres hébergeant des données numériques), infrastructures fortement énergivores qui, dans des logiques concurrentielles, recherchent la saturation énergétique (voir les travaux de Clément Marquet).
Troisièmement, cette privatisation de la prise en charge de problématiques sociales ou environnementales est fortement conditionnée à la solvabilité des offres proposées et des publics ciblés. Autrement dit, les technologies développées doivent reposer sur des modèles économiques viables. Or dans un contexte d’importantes coupes budgétaires, cela implique de faire payer les bénéficiaires pour le service qu’ils reçoivent – et donc d’exclure les publics les plus précaires – ou de trouver des financements alternatifs, ce qui peut engendrer de nouveaux problèmes politiques et sociaux (par exemple la marchandisation des données recueillies par le service).
Par ailleurs, cette privatisation favorise l’éclatement des offres proposées, ce qui rend difficile toute tentative d’évaluation.
Actualités : un solutionnisme persistant dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques d’urgence
On commence aujourd’hui à avoir un assez bon recul sur les premières expérimentations de technologies solutionnistes. Parmi les expérimentations les plus connues : le logiciel PredPol, utilisé par la police américaine pour anticiper les crimes et les délits. Dix ans après son installation, on ne peut toujours pas prouver l’efficacité du logiciel dont les biais racistes ont par ailleurs été confirmés. Entraîné à partir des données des personnes arrêtées par la police américaine, le logiciel reproduit les comportements racistes des policiers. Le logiciel a finalement été abandonné en avril 2020.
Dans un autre registre, il a été démontré que les applications de covoiturage comme Blablacar étaient contre-productives d’un point de vue environnemental. Alors que le covoiturage devait participer à la décarbonation du trafic routier en incitant les personnes à partager leur véhicule, il s’avère que ces applications ont en réalité favorisé la multiplication des voyages en voiture du fait du faible coût des trajets. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond.
Si le solutionnisme technologique est désormais bien documenté et relativement connu des services publics, la récente crise sanitaire a montré que les technologies solutionnistes restent privilégiées dans la gestion de situations d’incertitude, d’urgence et de crise. Ainsi, dans le monde entier, le premier confinement a été l’occasion d’un déploiement massif de technologies de surveillance : caméras de reconnaissance faciale, caméras thermiques, drones, logiciels de tracking… Solutions qui ne répondent pas aux problématiques structurelles de la propagation de l’épidémie (politiques d’austérité, capacité d’accueil réduite dans les hôpitaux, pénurie d’équipements de protection…), mais contribuent à infantiliser et culpabiliser les populations. De la même manière, les solutions EdTech déployées pour assurer la continuité pédagogique étaient aveugles aux multiples missions sociales que remplissent les établissements scolaires et universitaires (socialisation et apprentissage des normes, prévention des risques et protection des élèves, sécurité alimentaire, éducation à la santé…), et n’ont su prévenir ou accompagner les situations de détresse dans lesquelles se sont trouvés de nombreux élèves, étudiants, professeurs et personnels administratifs.
Bibliographie : livre de référence
Morozov Evgeny, L’aberration du solutionnisme technologique : Pour tout résoudre, cliquez ici [trad. américain], FYP, 2014.
The Limits of Technological Solutionism and the Need for Systemi
Your article provides an insightful critique of technological solutionism, highlighting how tech-driven fixes often oversimplify complex social problems. While I agree with many of the concerns raised, I believe there is room for a more nuanced discussion about the role of technology in public policy and how we can strike a balance between innovation and systemic change.
1. Technology as a Tool, Not a Replacement for Policy
The core problem with solutionism, as you rightly pointed out, is that it frames societal issues as purely technical challenges, ignoring the structural, economic, and political dimensions. However, the failure is not in technology itself, but in the way it is applied and the assumptions that drive its implementation.
For instance, EdTech solutions during the pandemic were not inherently bad; they provided millions of students with access to learning opportunities. The real issue was that governments treated these tools as substitutes rather than as complementary measures. The same can be said for predictive policing software—if used alongside criminal justice reforms, better oversight, and accountability measures, its potential biases could be mitigated.
The key, therefore, is not to reject technological solutions outright but to integrate them into broader, well-designed policies that address root causes rather than just symptoms.
2. Technological Solutionism vs. Pragmatic Digitalization
Another important distinction is between technological solutionism (which assumes tech can replace social systems) and pragmatic digitalization, where technology enhances and supports existing structures without erasing their human and institutional roles.
Take smart cities as an example. A city that installs sensors to optimize traffic flow is not inherently engaging in solutionism—it's using data to improve public infrastructure. However, if those same cities prioritize smart traffic lights over investments in public transport and urban planning, then it becomes a classic case of tech-centric overreach.
A well-balanced approach would:
3. The False Binary: Public vs. Private Solutions
Your article critiques the privatization of social services through technology, arguing that governments are outsourcing their responsibilities to tech companies. While this is often true, it’s important to recognize that governments themselves are not always equipped to develop technological solutions internally.
Instead of rejecting private-sector involvement altogether, a collaborative model could be more effective. For instance, public-private partnerships that maintain government oversight and ethical standards could prevent issues like:
Rather than leaving tech in the hands of either unregulated corporations or underfunded bureaucracies, we need hybrid models where innovation and public accountability coexist.
4. Moving Forward: Towards a More Holistic Approach
The recent failures of technological solutionism, such as PredPol’s racial bias or BlaBlaCar’s unintended environmental impact, prove that tech-driven solutions must be critically examined and refined. However, dismissing technology outright is not the answer. Instead, we should focus on how digital tools can be integrated into broader policy frameworks that prioritize:
Inclusion – ensuring that marginalized communities are not excluded from digital solutions.
Ethical design – preventing algorithmic bias and corporate exploitation.
Public interest – maintaining government involvement in technology-driven services.
Ultimately, the real challenge is not whether technology can help solve social problems, but how we design and regulate it to serve the common good.