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La Tenaille : un festival dédié à l'apprentissage des savoir-faire techniques pour femmes et personnes LGBTQIA+

Reportage au festival queer et féministe des savoir-faire techniques La Tenaille.

Fondé en 2022 par un groupe de militant·e·s, le festival La Tenaille donne l'occasion aux femmes et aux personnes LGBTQIA+ de s'initier à des pratiques techniques dont elles sont traditionnellement éloignées. Nous les avons suivi pour leur troisième édition qui s'est déroulée du 13 au 19 octobre 2024 à Montpellier (France).

 

Pendant une semaine, des dizaines d’ateliers d’initiation prennent place dans divers lieux militants de la ville : travail du bois dans un atelier de bricolage collaboratif, méca vélo dans un atelier d’auto-réparation, bidouillage informatique dans un hackerspace. L’objectif est de se réapproprier des savoir-faire encore très largement préemptés par les hommes pour se redonner de l'autonomie entre femmes et personnes LGBTQ+. Comme chaque année, toutes les activités affichent complet. Et tout au long de la semaine, les réactions à la sortie sont unanimes : « Je trouve le principe fabuleux », « Ça donne envie de revenir », « C’est hyper précieux », « Tellement empouvoirant ! ». Autant de paroles qui doivent leur enthousiasme à deux éléments essentiels du festival : la non mixité de genre et le focus sur les savoir-faire techniques.

 

Pourquoi ce besoin de non mixité ?

Depuis ses débuts, le festival est organisé sans hommes cis hétéro. Un choix sur lequel l'organisation s’est fondée pour lutter contre les stéréotypes et les discriminations de genre qui sévissent dans les milieux techniques encore très masculins. Il vise à proposer un espace d'apprentissage « safe », libéré du poids et des comportements « masculinistes ». Exit le virilisme, les blagues graveleuses, le mansplaining, les procès en incompétences ou toutes formes de violences sexistes ou LGBTphobes. Pour les personnes qui se rendent au festival, cela change complètement la donne. « Je suis venue ici sans me préparer, sans me poser de questions, c'est très allégeant ! » indique Yitu Chang, venue assister à un atelier de montage son. Les participant·e·s se sentent plus à l’aise, et apprécient le fait de pouvoir faire les choses par elles-mêmes, sans craindre le regard ou les jugements malvenus des hommes pouvant créer des situations inconfortables. « Même lorsque les mecs sont sympas avec nous, il faut sans cesse leur dire de nous laisser faire ou de nous expliquer sans faire à notre place, sans condescendance ou sans drague » soupire Vassilia, électricienne et animatrice sur l’événement, « les ateliers en mixité choisie, ce n’est peut-être pas parfait mais ça permet de mettre de côté un sacré nombre de trucs qui perturbent ». Même pour les plus aguerri·e·s, cet espace offre une véritable bulle d’oxygène. C’est le cas de Coline, bricoleuse depuis plusieurs années. Pour elle, apprendre en mixité choisie « c’est un peu le rêve. On arrête de se demander sans cesse ‘est-ce que je suis capable de le faire ?’ et on fait ». À La Tenaille, tout le monde échange et met la main à la pâte dans une relation d’égal à égal. 

 

Oser et s’autonomiser 

Au cœur de la démarche : la transmission de savoir-faire. Le but n’est pas de former des experts ou des expertes à des compétences techniques mais de reprendre confiance et d’oser se lancer. « Il y a un énorme fossé entre l’envie de s’y mettre et le passage à l'action pour les personnes qui sont sociabilisées comme des femmes et les minorités de genre. Le but c'est d’aider à passer ce cap » explique Estelle, membre de l’équipe organisatrice et animatrice. Nombre de savoir-faire techniques sont encore inaccessibles aux femmes et personnes LGBTQ+. « On voit le manque d'apprentissage. Il y avait 93 personnes sur ma liste d'attente. Cela prouve qu'il y a un vrai besoin...» témoigne Vassilia, en charge de l'atelier électricité. Le festival est donc là pour donner l’opportunité aux personnes de pratiquer tout en faisant tomber les fausses idées : l’impression d'avoir trop de retard à rattraper, de ne pas pouvoir y arriver, que c’est trop dangereux ou trop difficile, que l'on va se blesser ou tout casser. Avant même d’avoir essayé. « Pendant longtemps, j'ai eu cette impression que le bricolage, ce n'était pas pour moi. J’avais peur d’approcher les grosses machines. Mais ici, je me suis sentie à l'aise. J'ai pu aller à mon rythme. C’est pas comme bricoler avec mon grand-père ! » confie Maëlie, après avoir participé à l’atelier bois. En outre, lorsqu'elles ne sont pas exclues, beaucoup pointent aussi le fait d’être infantilisées lorsqu’elles s’essayent à ce genre de domaines. Le festival permet de démystifier des pratiques qui paraissent dangereuses ou complexes. « La tronçonneuse, c'est un outil qui me faisait hyper peur et là, ça m'a totalement décoincé maintenant, je me sens complètement autonome pour le faire, et même le montrer à d'autres » s’enthousiasme Coline suite à son initiation. 

 

 

Multiplicité de savoir-faire

Les savoir-faire proposés sont extrêmement variés, mêlant des pratiques issues de l’informatique, de la mécanique, du bâtiment, en passant par l’audiovisuel, le textile ou encore la botanique. « On a cherché à proposer des trucs autonomisant par rapport à la société de consommation, le capitalisme et le patriarcat tout priorisant les savoir-faire qui sont difficiles d'accès quand tu es une femme ou une personne LGBTQIA+ » explique Mare, co-organisatrice de l’événement. Les personnes avaient le choix entre une quarantaine d’animations telles que démonter son smartphone ou ordinateur, bricoler des installations électriques, diagnostiquer une panne sur sa voiture ou encore fabriquer de l’enduit de terre.

 

Parmi elles, certaines étaient consacrées à la connaissance et au soin du corps comme l’auto-gynécologie ou l’auto-coiffure. Des savoir-faire proposés pour aider à se réapproprier son anatomie et son image, notamment lorsqu’on ne rentre pas dans les « normes » établies. « Obtenir des soins c’est une bataille permanente pour des personnes lgbt+, racisées, grosses ou handicapées » explique Vic, coiffeur indépendant pour les personnes marginalisées à l’initiative de l’atelier auto-coiffure.

 

Par ailleurs, le festival cherche à changer les regards sur les savoir-faire techniques. L'idée est de dégenrer les pratiques en permettant à la fois de se réapproprier des domaines traditionnellement associés au « masculin », tout comme des domaines considérés comme « féminins » tels que les plantes, la couture ou la céramiqueL’objectif est de s'autonomiser dans n'importe quelle tâche utile au quotidien sans a priori et sans distinction de genre.

 

La Tenaille - Atelier transformation des plantes avec deux personnes en train de doser des ingréd...
This work "La Tenaille - Atelier transformation des plantes avec deux personnes en train de doser des ingrédients à côté de la marmite" by Christelle Gilabert is licensed under All rights reserved

 

Accueillir la pluralité humaine

Autre aspect essentiel de l’organisation, le fait de rendre le festival le plus accessible possible, quelles que soient les situations de vie ou les porte-monnaie. « On a essayé de réfléchir à tout ce qu'on pouvait mettre en place pour favoriser l'inclusion de tout le monde, que chacun se sente légitime et puisse matériellement être là » indiquent Caroline et Elyott, deux membres de l’équipe chargée de travailler sur l’accessibilité au festival. Une prise en considération de la « pluralité humaine » pour mieux intégrer les personnes porteuses de handicaps ou de troubles (physiques, psychiques, maladies chroniques), les familles, ainsi que les personnes subissant des oppressions, comme le racisme, le classisme, les LGBTQphobies ou le sexisme. 

 

Inspirée par le guide événement du collectif féministe et anti-validiste Les Dévalideuses, l’équipe a mis en place plusieurs démarches pour créer des conditions adaptées : une cartographie des différents lieux de l’événement fournissant un maximum d'informations sur leur accessibilité (accès PMR, barre d’appui dans les toilettes, largeur des espaces, etc), une mallette d’accessibilité contenant ressources et outils (documentation sur les discriminations, bouchons d’oreilles, masques, gel hydroalcoolique, etc), et un coin sans interaction pour pouvoir s’isoler et se ressourcer au calme. Une « boîte à merdes » était également disponible pour faire remonter des problèmes de façon anonymes. Pour les plus précaires, depuis ses débuts, l’intégralité de l’événement - ateliers, soirées, restauration - est à prix libre, et il est tout à fait possible de ne rien donner.

 

Lors de cette nouvelle édition, La Tenaille a également tenté de s’ouvrir à un plus large public. Le festival a démarré sur une journée d’ateliers organisée dans l'espace public à l’aide d’associations locales. « C’est important pour nous de ne pas s'enfermer dans un entre soi militant et donner cette opportunité à un maximum de personnes concernées » précise Sarah, membre de l’organisation et mécanicienne à la tête d'une association de mécanique auto féministe. Au printemps, le festival avait également organisé une « Tenaillette » destinée aux parents et aux enfants, avec des ateliers pensés dans une version pour adultes et enfants. 

 

100% autogéré, 100% autofinancé

La Tenaille est un festival citoyen non subventionné qui vit de l’énergie et des contributions des personnes qui souhaitent y prendre part. Une aventure encore en pleine expérimentation, qui ne demande qu’à se développer et s’améliorer. L’événement incarne un condensé de réflexions pour créer un espace dédié à la transmission de savoir-faire techniques à la fois féministe, collectif et solidaire. Signe de son succès, le concept attire de plus en plus de monde. En à peine 3 ans, il a donné naissance à des répliques similaires dans d’autres villes en France : La Chignole à Marseille, La Goupille à Toulouse ou encore La Douille à Lyon. Et on ne peut que en souhaiter d’autres.

 
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