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Culturalité, interculturalité, pluriculturalité, multiculturalité : mais enfin de quoi parle-t-on ?

Culturalité, interculturalité, pluriculturalité, multiculturalité : mais enfin de quoi parle-t-on ? Entretien avec Stéphanie Gasse

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Thierry Ardouin
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Culturalité, interculturalité, pluriculturalité, multiculturalité : mais enfin de quoi parle-t-on ?

Bonjour Mme Stéphanie Gasse, vous êtes une habituée d’EPALE et vos interventions sur les questions de l’éducation et de la formation apportent toujours à la communauté. Aujourd’hui nous voulons échanger avec vous sur la question de l’interculturalité que vous travaillez mais aussi que vous vivez directement compte tenu de votre trajectoire et réseaux internationaux.

Pour démarrer, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous même, et nous dire comment vous avez rencontré l’interculturalité  lors de votre trajectoire personnelle ? Et comment vous l’avez vécu ? Que vous a-t-elle apporté ?

Je suis Maitre de conférences en Sciences de l’éducation et de la Formation depuis 2010, rattachée à l’université de Rouen – Normandie (France) et chercheuse au sein du Laboratoire CIRNEF.

Mes préoccupations de chercheuse, ma formation et mes expériences professionnelles enrichissent mes enseignements dans le champ de l’éducation comparée, des approches internationales, des dynamiques partenariales, du travail en réseau. Mes terrains se concentrent sur les politiques d’éducation et de formation en Afrique subsaharienne et au Brésil.

La dimension interculturelle s’est largement imposée dans mon parcours / itinéraire à travers des expériences riches par la diversité des situations, des lieux et des personnes.

Trois éléments majeurs, révélateurs, marquants de mon itinéraire :

  • un semestre de mobilité Erasmus en Autriche en tant qu’étudiante au sein de l’Université de Vienne en 3ème année de Licence de littérature et civilisation étrangère ;
  • une expérience professionnelle en cours de Master au sein d’un programme de « Consultante Junior » des Nations-Unies au sein de la Section ED/BAS/LIT, alphabétisation et éducation de base de l’Unesco à Paris puis en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso) d’une durée initiale de 6 mois ;
     
  • enfin une Chaire des sciences humaines et sociales (SHS) de la coopération scientifique internationale hébergée au sein de l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro (UERJ), en tant qu’enseignante -chercheuse d’une durée initiale de 12 mois.

Le point commun de ces trois expériences « vives » est que chacune d’elle était restreinte à un cadre structurant et institutionnel « en temps limité » mais au final, chacune d’elle aura été à minima dupliquée, prolongée voire pérennisée.

La première liée à la mobilité Erasmus, sans entrer dans les détails de ce programme qualifié de « succès européen », je la qualifierai de voyage initiatique. Si l’expérience est vécue à 300% durant un semestre, elle se poursuit bien au-delà du « simple retour » qui, est « loin d’être simple » tant il bouscule le jeune adulte en construction/ en formation. Si le cadre est régi par une convention stricte, s’opère en réalité au sein même de cette mobilité « encadrée », un entre-deux déstabilisant empreint de nomadisme dont on prend conscience au moment du retour (où s’opère selon moi davantage le choc culturel tant celui-ci n’a pas été préparé, contrairement au départ). Au-delà d’un espace concret de libre circulation de jeunes étudiants (à l’époque fin des années 90, Erasmus s’ouvrait en deuxième année de cycle universitaire), de connaissances (un semestre dans un département équivalent à l’université de départ et une validation disciplinaire par l’université d’accueil) et d’idées (un projet à construire pour candidater en adéquation avec la formation suivie, le projet professionnel envisagé), on découvrira bien plus tard qu’il donne de réelles aptitudes « à lire le monde ». Outre le bain linguistique, l’ouverture d’esprit, la vie communautaire, l’immersion culturelle, l’autonomie, le « syndrome post-Erasmus » donne une certaine aisance pour « naviguer » en contexte multi, pluri, inter…, sortir de sa zone de confort, apprendre sur soi tout autant que des autres, bousculer ses certitudes, tester sa motivation et son engagement au regard de l’appropriation de savoirs, de savoir-faire et savoir-être. On découvre rapidement le bénéfice de sa reconnaissance académique, le tremplin professionnel qu’il confère mais aussi d’aisance à naviguer au sein d’espaces sociaux divers, de systèmes qu’ils soient souples, contraignants, rigides.

Cette première expérience « déterminante » à l’orientation voire la réorientation des projets initiaux a enrichi la seconde, puisqu’elle a ouvert des opportunités ou du moins elle a désinhibé les intentions parfois restées timides en donnant des clés d’appropriation de nouveaux terrains d’expériences, de cultures professionnelles (le système des Nations Unies, le fonctionnement d’une organisation internationale). Elle délivre rapidement les premiers codes, aide à dépasser les représentations, permet de prendre conscience du « pouvoir » des réseaux.

La troisième expérience choisie ici appelée « Chaire » est alors l’occasion de « pratiquer » différentes modalités :

  • la coopération via des accord-cadres d’entente réciproques institutionnelles ;
     
  • le réseau dans sa pluralité, multiplicité et jeux d’acteurs ;
     
  • le partenariat via des conventions en temps limité, dans un cadre normé, institué.
     
  • Enfin, le cadre spécifique de la « Chaire » permet une immersion plus dense au sein d’une communauté d’appartenance, qualifiée ici de communauté scientifique et académique.

 

diversity.

 

Qu’est ce que ce parcours international et interculturel vous a-t-il apporté ?

Pour résumer je dirais clairement une « aptitude à lire le monde » (au sens de Paolo Freire) et à entrer en interaction (communication verbale, non verbale, valeurs, attitude, posture), voire en immersion avec différents contextes, publics, situations, à naviguer au sein de différents systèmes (formel, informel, non formel).

Ce que décrit l’anthropologue Hall dans ses travaux de 1990 lorsqu’il invite à étudier les cultures sous 3 angles : « le temps, l’espace, le contexte de communication » ou encore la spécialiste de l’éducation comparée Groux à travers « une éducation à l’altérité », 2018.

L’interculturalité exige une déconstruction de ses représentations sociales pour rencontrer l’altérité.

Ces aptitudes peuvent être rapprochées des compétences interculturelles à travers la connaissance de soi, de son propre fonctionnement, de sa propre identité culturelle ; la connaissance de l’autre et sa culture en une prise de conscience des points de convergence et divergence.

Le terme d’interculturalité est un peu difficile à cerner, à votre connaissance, quand ce terme est-il apparu et dans quel cadre ? Quelles caractéristiques ou éléments faut il retenir ?

Dans une perspective socio-historique, l’éducation à l’interculturel a trouvé son origine dans la communication et l’éducation multiculturelles américaines des années 50 et 70 mais également au sein d’une approche interdisciplinaire dont les principaux enjeux portent dans les années 80 sur l’intégration via les travaux sur l’immigration et la didactique des langues à partir des travaux du Conseil de l’Europe.

Récemment on note un développement croissant via par exemple les politiques linguistiques liées à l’enseignement bilingue (continent africain), l’environnement, le développement, la durabilité (Europe), thématiques centralisées au sein des « éducations à … » (Barthès, Lange, Tutiaux-Guillon, 2017) ou encore en Amérique du Sud via les politiques de discrimination positive ou dites affirmatives à travers les « quotas » pour renforcer l’équité d’accès à l’enseignement supérieur.

Ainsi l’interculturalité se trouve au cœur des débats et de la prise en charge des enjeux globaux et des formations à la responsabilité individuelle et collective.

L’usage de cette notion engendre des termes polysémiques et représente des idéologies souvent opposées ou contradictoires influencées par des politiques globales et supranationales sur les politiques locales.

L’interculturalité se présente comme un concept dynamique et non figé grâce à l’appui des anthropologues pour la prise en compte des contextes situationnels et des expériences des acteurs.

Le concept s’enrichit de l’identité en tant que processus, élément central dans la formation à l’interculturel.

Le concept d’interculturalité porte en lui la coexistence de multiples cadres de références, le fait que la diversité n’est pas un obstacle mais une opportunité.

Vous interrogez aussi l’interculturalité par rapport à la pluriculturalité et la  multiculturalité, pouvez nous en dire un peu plus et nous éclairer sur ces termes ?

La déclinaison de ces notions montre bien l’ampleur du champ d’études, la polysémie du terme, la multiplication des terminologies qui lui sont associées.

Accolé au lexème « culturel », les préfixes tels que « pluri » et « multi » sont à la fois porteurs de sens et de confusion dans leur appropriation / usage / interprétation.

« Multi » renvoie à beaucoup, nombreux… indique donc la « multiplicité » soit un grand nombre de cultures en présence ce que Anderson décrit comme « la coexistence de différentes cultures à l’intérieur d’une même société ». Le Conseil de l’Europe qualifiera ainsi en 2011 (décision-cadre) les sociétés européennes comme « multiculturelles ». Pourtant le multiculturalisme de Taylor (1994) renvoie à une politique volontariste par laquelle un État entend préserver ce qui est perçu comme étant les attributs et spécificités de différentes culturelles qui vivent dans un même espace, comme le Canada par exemple. Cela devient alors un mode de gestion de la diversité. Multiculturel apparait comme « un terme sémantiquement chargé, en lien avec son acceptation politique » (Lemaire, IJCS, 2012 à propos des approches inter, pluri, multi, en didactique des landes et des cultures).

Pour ce qui concerne le préfixe « pluri », il renvoie à la pluralité. Et la littérature lui porte une connotation plus neutre, rattachée à une dynamique plurielle, au métissage, au caractère hybride. Il s’agit alors d’analyser, de caractériser une situation de cohabitation de différentes cultures. On parlera de société pluriculturelle où le rapport à l’autre assure le vivre ensemble.

Dans votre travail et vos recherches notamment en Afrique francophone et au Brésil, la question de l’interculturalité a-t-elle une résonance particulière ?

Je dirais que dans les expériences de terrain et mes recherches conduites au croisement de l’éducation sociale, populaire et communautaire (lutte contre l’analphabétisme, droit à l’éducation pour tous de qualité, éducation des jeunes et des adultes, éducation non formelle et dispositifs alternatifs, publics exclus du système institutionnel dominant) la question de l’interculturalité, je l’interroge par le concept de la conscientisation, concept que je définirai comme catalyseur de « la pédagogie interculturelle critique » mise en avant par le grand pédagogue brésilien Paulo Freire (dont on célèbre le centenaire cette année).

Cette question de l’interculturalité s’enrichit des épistémologies du Sud, qualifiées par le sociologue portugais Boaventura de Sousa Santos en 2009, qui propose des alternatives aux épistémologies occidentales via une sociologie des émergences, une sociologie des absences pour observer et mettre en lumière « l’ignoré », « le résiduel », « l’inférieur », « le local », « l’improductif ». Ces épistémologies du Sud sont fondées sur l’écologie des savoirs et sur la traduction interculturelle.

Ainsi, à travers ces deux approches (Freire/ Boaventura), l’éducation se veut émancipatrice et basée sur le dialogue. Elle rompt le rapport de domination par un processus de conscientisation (objet de savoir) qui « va au-delà de la simple constatation pour aller vers l’action transformatrice de cette réalité ». (Freire, 1974, Pédagogie des opprimés)   

Pouvez vous nous donner un auteur, un ouvrage et/ou une référence qui vous ont guidé(e) ou  marquée(e)?

Un ouvrage qui fêtera ses vingt ans et qui pour moi, en tant qu’enseignant - chercheur reste une base de réflexions pour la discipline :

Dasen, P., R., Perregaux, C. (2002). Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l'éducation. DeBoeck supérieur, Collection : Raisons éducatives

Cet ouvrage engage sur les principaux acquis et controverses qui animent notre discipline « les sciences de l’éducation » dans ce débat sur l’interculturalité, il pose un regard épistémologique, ouvre l’articulation entre scolaire et non scolaire, et enfin présente quelques études de cas sur le terrain de la formation des enseignants, des expériences menées à l’étranger ou encore des professionnels de santé.

Cette lecture peut être approfondie par l’ouvrage coordonnée par Barthés, Lange, Tutiaux-Guillon (2017), Dictionnaire critique des enjeux et concepts des « éducation à » aux éditions l’Harmattan ou encore les travaux de Boaventura de Sousa Santos & Maria Paula Meneses (2010) consacrés aux épistémologies du Sud.

Je vous remercie pour cet échange et votre apport.

Thierry Ardouin

thierry ardouin.

 

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