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Les projets européens à l'épreuve du e-confinement

Ce premier blog de Divina Frau-Meigs, experte EPALE France sur l'éducation aux médias et à l'information, nous parle de la mise en œuvre des projets européens dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et au numérique en période COVID.
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Divina FRAU-MEIGS

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Le confinement a bousculé certaines pratiques de recherche et de collaboration, en obligeant les partenaires à travailler presqu’exclusivement à distance et à reporter des interventions et des réunions et événements faisant partie structurante de leurs projets. C’est devenu un e-confinement, réalisé principalement par écrans interposés, et même si le numérique est depuis un certain temps un espace-temps pratiqué par les formateurs et les chercheurs, à l’université comme le milieu associatif, son usage forcé pour toutes les activités n’est pas sans poser question, surtout pour envisager une nouvelle normalité, qui laisse de côté le superflu et l’incohérent et valorise ce qui donne du sens et de la cohésion.

Les porteurs de projets se sont retrouvés à transposer en ligne des routines et des taches prévues en présence. Si les modules de travail (Work Package) de type administratif ont été peu bousculés, ceux de type intervention de terrain ont suscité des situations inédites. Ceci a impliqué l’appropriation de nouveaux outils, voire la création de nouveaux contenus ou la modification de contenus existants. Cet ajustement a occasionné un surcroît de travail ou nécessité l’acquisition de compétences nouvelles, sans formation préalable. Face à l’abondance de l’offre de solutions en ligne, la fatigue numérique —liée aux réponses aux messages, au tri des ressources pertinentes, aux applis chronophages— en a saisi plus d’un. 

Dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et au numérique, les expériences menées par Savoir*Devenir ont porté un éclairage sur le passage au tout numérique, notamment pour des projets qui impliquaient la création collaborative et interculturelle de jeux sérieux, l’utilisation sous forme de recherche-intervention d’outils informatiques comme le plug-in InVID-WeVERIFY ou des formations à l’EMI transformées en classes virtuelles (savoirdevenir.net/projets). Le tout sur des thématiques « sensibles » comme la désinformation sur les médias sociaux ou la lutte contre la haine en ligne, … sans oublier la promesse de livrables testés et évalués sur le terrain. Ces expériences ont permis de prendre la mesure  des trois dimensions de la e-présence : la e-présence sociale, qui met la focale sur la sociabilité, la e-présence cognitive, qui met la focale sur la réflexivité et la e-présence désignée, qui met la focale sur les opportunités et contraintes des dispositifs en ligne.

Côté sociabilité, le e-confinement a sollicité les partenaires internationaux en tant que communauté virtuelle interculturelle. La capacité des partenaires à se projeter avec empathie à travers le moyen de communication utilisé (souvent une plateforme de visioconférences comme Zoom, Meets, Lifesize ou encore Jit.si) a révélé des personnalités plus ou moins à  même de faire passer des interactions verbales et visuelles. Les fonds d’écran ont servi à projeter des images qui donnaient à voir le décor personnel (bibliothèque, salon) ou encore culturel (bord de mer, monument national …).  L’interpersonnel a également joué un grand rôle et certaines personnalités au tempérament de médiateurs ont pu et su créer du lien, en choisissant des plateformes collaboratives conviviales, et en les animant par le biais de forums, de chats, de webinaires en live et en différé à la fois sur YouTube, Facebook et autre, pour susciter des occasions de partage et de proximité. D’autres personnalités se sont avérées plus difficiles à gérer, certains collègues envahissant les autres de messages et d’emails inquiets ou comminatoires, auxquels il est plus difficile de faire barrage en ligne qu’en présentiel. En creux, on a découvert la valeur des visites culturelles, des repas dans les restaurants locaux et …. des pauses café, ces moments officieux où se forgent des amitiés, où se déploie la confiance, où s’imaginent de nouveaux projets, en dehors des rapports de pouvoir.

Côté réflexivité, le e-confinement a posé avec acuité la question de l’apprendre à apprendre et de l’apprendre à s’informer alors que certains projets se transformaient en classes virtuelles, voire en MOOCs. Le passage du présentiel au distantiel a contraint à établir des stratégies et des parcours en ligne, visant toutes les formes d’engagement et de motivation possible, pour éviter l’attrition. Pour solliciter la capacité des participants à construire du sens et à s’approprier des contenus, il a fallu s’appuyer plus que de coutume sur les expériences personnelles et privées. Proposer des ateliers qui permettaient de comprendre la désinformation en ligne concernant la Covid-19 dans tel ou tel pays a permis de calmer certaines anxiétés. Créer des jeux sérieux qui incorporaient des missions sur les divers messages de haine en période de confinement a allégé certaines inquiétudes en donnant du pouvoir d’agir sur une situation par ailleurs incapacitante.  En creux, on a (re-)découvert que l’éducation et la formation peuvent être des frustrations fécondes, si elles sont ancrées dans des situations qui aident à faire sens du ressenti des participants. Cela donne aux approches actives, sur la base de projets collaboratifs, multi-acteurs et interculturels, ­—caractéristiques du programme ERASMUS—, une réelle utilité sociale.   

Côté opportunités et contraintes du design numérique, le e-confinement a démontré la performance des dispositifs numériques, notamment ceux de collaboration en ligne qui ont permis de mener certains pans entiers des projets. Elle a apporté le soulagement d’avoir des options de réunion alternatives, qui permettent de continuer à se coordonner, même si des délais et reports ont été nécessaires (avec un seuil de six mois maximum). Toutefois, les fonctionnalités de ces plateformes commerciales ne sont pas neutres ; elles ont leur propre autorité et modes de contrôle et ne répondent pas toujours aux attentes pédagogiques ou aux normes légales : leurs capacités à partager de l’information ne les empêche pas de faire de la collecte de données personnelles. Elles ne sont pas toutes RGPD-compatibles, même si certaines ont très vite compris l’intérêt de garantir la vie privée de leurs usagers européens, notamment lorsque des mineurs sont concernés. En creux on a découvert la force des imaginaires, qui se transposent en ligne, avec des dispositifs designés qui reflètent nos modèles d’autorité (le symbole « lever la main »), nos scripts sociaux et cognitifs (la mosaïque de visages et la caméra cachée) et toutes les sortes de masques que nous utilisons, en présentiel comme à distance, que notre technologie reproduit tout en poussant à la « transparence ».   

Quelle nouvelle normalité envisager ?

Cet état des lieux pose paradoxalement la question du hors ligne, face à d’éventuelles autres pandémies et crises globales. Que garder, que délaisser ? 

Si le numérique a permis la poursuite de nombreux projets et prouvé sa performance, la programmation des projets européens a souffert de la suppression des missions à l’étranger des enseignants chercheurs. Cela a eu un impact sur la programmation des projets européens car les contacts directs favorisent l’élaboration des projets. On a découvert que la crise sanitaire et les contraintes liées au confinement inscrivent les futurs porteurs de projets dans un présent qui n’incite pas à une projection sur de nouveaux projets (l’université est dans une situation d’urgence et rencontre des difficultés pour se projeter dans un après crise toujours incertain). Tout en faisant l’économie de déplacements intermédiaires trop fréquents et nocifs pour l’environnement, des moments rituels sont sans doute à maintenir dans les projets européens, pour garder l’intérêt interpersonnel et interculturel, et laisser tomber les masques.

Si l’émergence de solidarités entre les membres de projets touchés a permis d’aider à tenir, alors qu’un confinement succédait à un autre, la question de l’accès (à internet, aux ordinateurs et tablettes, aux plateformes et applis…) reste encore facteur d’inégalités en Europe et dans le pourtour méditerranéen. Se pose la question d’un service public du numérique, pour les universités publiques, avec des dispositifs open source comme Moodle ou Jit-si, qui ne soient pas designées en mode commercial et soient accessibles au plus grand nombre. L’absence ou la faiblesse des dispositifs numériques européens nous alerte sur le manque de souveraineté européenne sur des ressources critiques comme les plateformes de formation, les moteurs de recherche et les médias sociaux. Les autorités européennes se doivent de fournir un soutien massif et concerté à des modèles de coordination et de formation qui nous rendent moins dépendant de l’intelligence artificielle concoctée par des plateformes originaires de pays peu respectueux de la vie privée et de la protection des données.

S’il est apparu que nous ne pouvons nous passer ni du social ni des technologies qui nous connectent, la situation actuelle crée des tensions entre interfaces humaines et interfaces techniques plutôt qu’entre présence et distance.  Pour un équilibre réussi qui mixe présence et distance, qui réponde aux attentes écologiques cruciales et aux urgences numériques avérées,  les activités en ligne ne doivent pas être le double identique de celles hors ligne.  Leur répartition doit être repensée, au sein même des appels à projets. Cela implique de s’interroger sur les nouvelles compétences et les nouvelles littératies nécessaires pour donner aux équipes la maîtrise des dispositifs, pour développer une réelle résilience et susciter une appétence pour des approches alternatives.

Une grande partie de ce travail de décantation tourne autour des cultures de l’information, plus que du numérique et de sa gestion. Ce que les écrans et les plateformes nous ont bien fait comprendre c’est que la maîtrise de l’information sous toutes ses formes et formats, —comme médias, comme documents et comme data— est indispensable à un numérique choisi et non subi. Cela implique de renforcer l’Education aux Médias et à l’Information dans les programmes et les projets. Cela implique d’accompagner les porteurs de projets dans leur navigation de ces cultures de l’information  (sous la forme d’un petit vademecum peut-être), pour qu’ils se sentent en capacité de gérer les trois dimensions de la e-présence.  Capitaliser sur les expériences propres actuelles et sur les circuits de validation par les pairs pourrait susciter de nouvelles initiatives à partager pour se déconfiner.  

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Commentaire

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Thierry Ardouin
Community Contributor (Bronze Member).
ven 12/03/2021 - 14:24

Merci Divina pour ce premier blog très riche et dense. Et tout à fait d'accord sur : "les activités en ligne ne doivent pas être le double identique de celles hors ligne. Leur répartition doit être repensée". 
Voir à ce propos la série FOAD/FORSE sur Epale qui interroge les différentes dimensions et la place et rôles des acteurs dans un dispositif à distance.
Cordialement

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