Ainhoa Leiceaga : portrait d'une surfeuse engagée



Est-ce que tu peux commencer par te présenter en quelques mots ?
On peut commencer par le fait que je suis basque. J'ai commencé le surf à 9 ans et j’ai bientôt 23 ans. Je suis surfeuse de haut niveau dans le Collectif France depuis maintenant plusieurs années. A côté de ça, je suis étudiante en physique-chimie et l'année prochaine, je pars en Master science de la mer.
Evidemment, le lien très direct entre le surf et mes études, ça va être mon engagement écologique.
Quelque chose qui est assez marquant dans mon parcours, c'est que depuis 2 ans, je suis ambassadrice de Pure Océan, une ONG qui lève des fonds pour financer des projets scientifiques qui ont pour but de protéger les océans.
Et enfin, je participe à plein d'autres événements ponctuellement comme des fresques, des tables rondes, des petites conférences. Par exemple, j'étais à Bordeaux la semaine dernière pour une table ronde organisée par Surfrider dans le cadre de la tournée des experts sur le thème “sports nautiques et océans : Je t'aime moi non plus”.
Je participe aussi à des rencontres citoyennes autour de l'eau et l’année dernière, j'ai aussi fait un TEDx à Biarritz. C'était un sujet libre, mais j'en ai profité pour mettre la protection de l'environnement au cœur de ma prise de parole.
J'interviens pour essayer de faire passer le message qu'on peut être performant, heureux et en bonne santé, tout en étant respectueux de l'environnement et que l'un ne va pas sans l'autre. Tout en apportant mon expérience sportive et mon expertise de scientifique.

Tu as toujours eu dans ton éducation cette sensibilité environnementale où il y a eu un jour un déclic qui a façonné ton engagement ?
Environnemental, peut-être pas, mais j'ai toujours grandi dans la campagne basque, dans un milieu paysan. Enfant, je passais mon temps à jouer dans les champs, dans la nature, dans la forêt, à côté de la rivière.
Donc, j'étais très sensible à ces milieux là et attachée aux animaux que je voyais aussi. C'était ma vie.
En grandissant, j'ai appris que cet environnement était en danger, mais qu'on pouvait agir pour le préserver. Et donc, j'ai tout de suite eu envie de le protéger et de moi-même, essayer d'avoir un impact réduit sur ce milieu. Parce qu'on n'a pas envie de blesser quelque chose que l’on aime.
Mes parents étaient proches de la nature aussi et déjà sobres dans la manière de consommer, d'être auto-suffisant, de réparer, de réutiliser. Et j'ai vraiment baigné dans ça depuis que je suis née.
Comment tu arrives à concilier tes multiples vies ? Et puis surtout, comment tu envisages l'avenir entre ta carrière de sportive et celle de scientifique ?
Honnêtement, c'est très compliqué. Ça demande beaucoup d'énergie et énormément de passion. Parce que quand on est exténué et qu'on n'a plus la force d'avancer, au final, c'est la passion qui prend le dessus.
Donc, je pense que c'est ma passion pour les deux domaines, pour les sciences et pour l'océan avec le surf, qui font que j'arrive à continuer les deux. Côté pratique, j'aménage quand même mes études, c'est-à-dire que j'ai fait ma L1 en une année, mais ma L2 et ma L3, je les ai faites en deux ans chacune.
Donc, j'ai fait ma licence en cinq ans au total, pour avoir du temps justement pour m'entraîner. Je passe énormément de temps à organiser mes semaines pour optimiser chaque journée, pour gérer au mieux, pour avoir mon compte à l'entraînement, mais avoir aussi le temps de travailler.
Et je gère aussi cet équilibre en termes de priorité. C'est-à-dire que si je suis en partiel, je vais peut-être moins m'entraîner et plus réviser. J’adapte aussi avec les échéances des compétitions. j'aimerais être au maximum partout mais j’essaye de garder l’équilibre car j'ai eu des moments d'extrêmes fatigue qui ont été très compliqués
Il y a deux ans, j'ai d'abord eu une hernie discale. Mais ça n'a pas suffi à m'arrêter. Puis après, je me suis fait un genou.
En fait, j'ai un peu enchaîné les blessures mais j'arrivais toujours à me relever parce que j'étais passionnée. Et à un moment, c'est mon mental qui a dit stop, là ça a été difficile.
Aujourd’hui, je suis en train de revenir, mais de manière différente, justement pour éviter de me mettre dans le rouge et de garder l’équilibre

Et justement, au cours de ta pratique, est-ce que tu as constaté une dégradation de l'océan, que ce soit au niveau de la pollution plastique, de la qualité de l'eau ou, des dégradations du littoral par exemple ?
Oui, par exemple, il y a la plage de Lafitenia sur laquelle on ne pouvait plus faire de compétition parce qu'avec l'érosion, c'était devenu trop dangereux.
Ensuite, au niveau de la qualité de l'eau, et ça, c'est depuis toujours, à chaque fois qu'il y a des grosses pluies, les stations d'épuration débordent et quand je vais à l’eau je tombe malade car tout est déversé dans l’océan.
Mais l’évolution majeure que j’ai pu constater c’est la biodiversité et la richesse des fonds marins. Parce qu'avant, il y avait plein de crabes, de bulots, d’algues… Maintenant, c'est de la mousse verte. Je vois très peu de poissons, l’environnement est beaucoup moins riche qu’avant et ça, c'est assez flippant et attristant.
Enfin, il y a aussi une algue appelée Ostreopsis, qui prolifère depuis plusieurs étés, à cause du changement climatique et de la montée de la température des eaux qui m’a rendu malade.
Aujourd’hui, j’utilise une application sur la côte basque qui s'appelle Calilo. C'est une météo des plages qui publie les résultats de prélèvement de la qualité de l’eau pour avoir toutes ces informations avant d’aller m’entrainer.
Personnellement je t'ai connu avec un post LinkedIn dans lequel tu parlais du fait que tu renonçais à certaines compétitions pour éviter de prendre l'avion et limiter ton empreinte carbone. Moi, la question que j'ai envie de te poser, c'est comment toi, tu vis ces décisions de renoncement, quel message tu essaies de faire passer et comment les gens réagissent ?
C'est difficile dans le sens où vraiment, je pèse vraiment le pour et le contre, je regarde ce qui est nécessaire en fonction de ma carrière au niveau des points pour voir si ça va beaucoup m’impacter.
J’en parle beaucoup avec ma mère qui m'aide à trouver ma place un petit peu entre les deux parce que je suis quand même tiraillée entre le surf de compétition et de performance qui est assez contradictoire avec mon engagement écologique. Mais au final je pense qu'on peut être performante tout en étant en équilibre avec la nature et c'est pour ça aussi que j'ai été amenée à refuser des compétitions en Guadeloupe et à la Réunion parce que je me suis rendue compte qu'elles n'étaient pas vraiment nécessaires et que ça me permettait d’être beaucoup plus en accord avec mes valeurs de ne pas y aller, de ne pas être dans la dissonance en ayant une empreinte carbone colossale.
C’est quand même un renoncement car ça m'enlève clairement des chances de rentrer dans mes objectifs sportifs car ça veut dire que sur le peu de compétitions que je fais il faut que je réussisse sans me rater mais je me sens plus alignée. Le surf, je pense que c'est un sport qui est vraiment en lien direct avec la nature, on est amoureux de l'océan quand on pratique un sport comme celui-là. Mes proches me soutiennent même s’ils trouvent que c’est difficile de tout concilier.
Récemment, j’ai décidé de parler de ces dilemmes sur Linkedin pour ouvrir la discussion sur ce sujet et au final ça a inspiré pas mal de gens et ça a eu plus d’impact que ce que j’imaginais pour sensibiliser encore plus autour de moi donc c’est plutôt positif.
D’après toi pourquoi la voix des athlètes est parfois plus entendue sur les sujets environnementaux que celles des scientifiques par exemple ?
Les athlètes sont des personnes qu’on admire . Par exemple moi j’admire Léon Marchand, j’admire ce qu’il fait car je trouve ses performances hallucinantes, Et donc on a tendance à s’identifier à la personne et à vouloir se coller aux valeurs des personnes qu’on admire.
Le monde scientifique est un monde à part, les gens voient les scientifiques comme des rats de laboratoire. Pourtant, la science n'est pas du tout déconnectée car la science se fait avec et pour la société. Le scientifique vit jour et nuit avec les propos qu’il avance mais aujourd’hui c’est un monde qui a du mal à s'ouvrir car les gens ont du mal à s’identifier, alors même que la science est au cœur de nos vies. C’est en ça que des événements comme la fête de la science sont hyper importants pour refaire le lien et renouer avec des concepts complexes qui sont vulgarisés et qu’on peut comprendre. Enfin, les scientifiques n’ont pas de devoir de parution comme les athlètes et leur travail n’est pas autant médiatisé malheureusement.
Si tu devais prendre 3 mesures pour rendre le surf professionnel plus durable et respectueux de l’environnement quelles seraient-elles ?
La première serait d’éviter de prendre l’avion en organisant des compétitions accessibles en moyen de transport doux par exemple en covoiturage car aujourd’hui les planches de surf sont interdites dans les trains. Lorsque cela n’est pas possible, au moins regrouper les compétitions pour que les déplacements soient optimisés.
Ensuite au niveau du matériel, il faudrait adopter une logique d’utiliser juste le nécessaire afin de ne pas être dans la surconsommation en utilisant des matériaux biosourcés, puis en faisant durer au maximum en réparant mais aussi en utilisant des crèmes solaires respectueuses du milieu.
Enfin, ce serait d’avoir une alimentation au maximum locale et végétale en tachant de garder un équilibre pour un apport suffisant en protéine et en sourcant le mieux possible
