Développer la capacité à s'orienter


Développer la capacité à s'orienter
Résolution du Conseil de l'union Européenne relative à l’orientation tout au long de la vie
- 21 novembre 2008 -
L’orientation tout au long de la vie et les compétences à s’orienter
Le 21 novembre 2008, le Conseil de l’Union Européenne adoptait une résolution portant sur l’orientation tout au long de la vie. Cette résolution devait conduire à définir l’orientation comme « un processus continu qui permet aux citoyens, à tout âge et tout au long de leur vie, de déterminer leurs capacités, leurs compétences et leurs intérêts, de prendre des décisions en matière d'éducation, de formation et d'emploi et de gérer leurs parcours de vie personnelle dans l'éducation et la formation, au travail et dans d'autres cadres où il est possible d'acquérir et d'utiliser ces capacités et compétences. L'orientation comprend des activités individuelles ou collectives d'information, de conseil, de bilan de compétences, d'accompagnement ainsi que d'enseignement des compétences nécessaires à la prise de décision et à la gestion de carrière ».
Préalablement à l’adoption de cette résolution, le rapport d'évaluation du Cedefop (Centre européen pour le développement de la formation professionnelle), en 2008 sur la mise en œuvre de la résolution de 2004, soulignait déjà que si des avancées avaient été réalisées, « il restait à accomplir des efforts afin de fournir des services d'orientation de meilleure qualité, d'offrir un accès plus équitable, centré sur les aspirations et les besoins des citoyens, de coordonner et de construire des partenariats entre les offres de service existantes ».
4 années plus tôt, c'est un rapport de l'OCDE qui invitait les pays à faire évoluer leurs services d'orientation en expliquant que « les enjeux futurs consistent à changer l'orientation de ces services [d'orientation] pour qu'ils soient centrés sur le développement de compétences en gestion de carrière et pas seulement sur la fourniture d'informations et sur une prise de décision immédiate » (OCDE, 2004, p.7)
A travers cette préconisation, il s'agissait, comme le dit Riverin-Simard (2004) « d'assurer des services qui ne se bornent pas à aider les personnes à prendre des décisions immédiates mais qui leur apprennent à gérer leur cheminement de carrière. ». On retrouve alors 2 dimensions dans l'accompagnement à l'orientation tout au long de la vie :
une dimension opérationnelle : aider les personnes à prendre des décisions immédiates
une dimension pédagogique : apprendre à gérer leur cheminement de carrière tout au long de la vie
Du côté des institutions, l'Education nationale diffuse en 1996 la circulaire du 31 juillet pour le collège (n°96-204), puis la circulaire du 1er octobre, pour le lycée général et technologique (n°96-230). Ces deux circulaires introduisent la dimension pédagogique des actions d'orientation. Ainsi, dans ces documents, l'éducation à l'orientation est définie comme « […] Une démarche éducative personnalisée […]. La capacité pour chaque élève, d’effectuer le moment venu, des choix reposant sur une bonne connaissance de ses goûts, de ses aptitudes, de ses aspirations et de l’environnement économique suppose la prise en compte, dans l’action pédagogique, de savoirs et de compétences dont l’acquisition fait partie intégrante des missions du collège ». Les effets attendus chez l'élève sont :
Enrichir les représentations stéréotypées.
Favoriser l’acquisition de compétences requises pour faire des choix autonomes.
Capacité à effectuer des choix en fin de collège.
Et les adultes ne sont pas en reste puisque quelques années auparavant, l'installation du bilan de compétences, dans le périmètre de la formation professionnelle continue, montre la volonté du législateur de placer l'orientation dans le champ du développement de compétences de gestion de carrière.
En effet, la Loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991 va ajouter le bilan de compétence à l'article L900-2 du code du travail qui liste les actions de formation qui entrent dans le champ d'application des dispositions relatives à la formation professionnelle continue. Le bilan de compétences, prestation d'orientation professionnelle par excellence des années 90 et 2000, est placé dans la perspective de l'orientation éducative, c'est à dire l'orientation qui éduque au sens «développe les connaissances et les compétences pour être en capacité de gérer soi-même son parcours professionnel». Et ce même article, devenu L6313-1 et modifié à l'occasion de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », confirme la place du bilan de compétence dans la liste des 4 catégories d'actions de formation.
Le Conseil en évolution professionnelle viendra, en 2015, prolonger cette dimension formative en précisant qu'« il [le CEP] contribue, tout au long de la vie active de la personne, à améliorer la capacité de la personne à faire ses propres choix professionnels (...) » (Arrêté du 16 juillet 2014 fixant le cahier des charges relatif au conseil en évolution professionnelle prévu à l’article L. 6111-6 du code du travail).
On voit donc que l'adoption de la résolution au niveau européen, en 2008, invite de manière particulièrement explicite les Etats membres à renforcer le rôle de l’orientation tout au long de la vie dans le cadre des stratégies nationales d’éducation et de formation tout au long de la vie en conformité avec la stratégie de Lisbonne. Elle invite également fortement les Etats Membres à appliquer, en fonction du contexte national, 4 principes directeurs, de façon à accompagner les transitions tout au long de la vie des citoyens :
favoriser l’acquisition de la capacité à s’orienter tout au long de la vie (CMS= Career Management Skills)
faciliter l’accès de tous les citoyens aux services d’orientation
développer l’assurance qualité des services d’orientation
encourager la coordination et la coopération des différents acteurs au niveau national, régional et local.
On peut donc dire que depuis le début des années 1990, à tous les niveaux, national (Education Nationale et Travail), européen (Union Européenne) et mondial (OCDE), les professionnels de l'orientation sont attendus sur leur rôle dans l’accompagnement au développement des capacités des individus à savoir s'orienter par eux-mêmes.
Du côté des pratiques des professionnels, la dimension pédagogique de l'orientation apparaît très tôt. En effet, dés 1957, Antoine Léon propose une « psychopédagogie de l’orientation professionnelle » (Leon, 1957) pour donner aux jeunes le pouvoir de décider de leur avenir. Cette proposition installera l'orientation dite « éducative » dans le champ de l'accompagnement. Et au début des années 70, Pelletier, Noiseux et Bujold (1974) présenteront leur propre démarche d'orientation éducative.
Malheureusement, force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous. En effet, du côté de l'orientation scolaire, le rapport du CNESCO (2018) explique qu'il faut « Apprendre à s’orienter plutôt qu’ « être orienté » : ces politiques d’orientation visent non plus uniquement à aider à trouver à court terme une formation professionnelle, mais à apprendre à s’orienter dans le système de formation initiale puis tout au long de la vie pour ajuster au mieux ses compétences professionnelles. » (CNESCO, 2018, p. 47)
Et du côté de l'accompagnement des adultes, dans les 3 rapports du CNEFOP de 2016, 2017 et 2018 sur la mise en œuvre du CEP on peut lire « une ambition à ne pas oublier : développer l’autonomie de la personne. Pourtant centrale dans l’ambition du CEP, la question du développement de l’autonomie des personnes reste encore assez peu travaillée. » (CNEFOP, 2016, p. 25)
Former aux compétences à s'orienter
Les 4 étapes pour développer les compétences à s'orienter
Les professionnels de l'orientation sont des experts de l'accompagnement à la réflexion sur le projet professionnel. Ils ne sont pas formateurs au sens de la formation professionnelle tout au long de la vie. Leurs pratiques ne sont donc pas orientées vers l'acquisition de compétences. Il est donc important de travailler sur la posture des professionnels de l'accompagnement pour qu'ils intégrent la dimension du formateur.
Avec cette posture de formateur, pour que l'accompagnement devienne « apprenant » il est ensuite nécessaire d'introduire, dans les pratiques des professionnels, des séquences « formatives ». C'est à dire des situations répondant à un objectif de formation et des objectifs pédagogiques.
Enfin, comme pour toute formation, afin de s'assurer que le contenu sera utile à la personne, il faut pouvoir « positionner » cette personne. C'est à dire évaluer ce qu'elle sait déjà faire au regard du référentiel de formation. En l'occurence ici, le référentiel de formation correspond aux compétences à développer. Il faut donc disposer d'un référentiel des compétences à s'orienter, gradué en différents niveaux de maîtrise.
Pour résumer, il faut donc réaliser les 4 étapes suivantes :
construire un référentiel des compétences à s'orienter
concevoir un outil de positionnement sur les différents niveaux de maîtrise des compétences
créer des séquences formatives à l'acquisition des compétences à s'orienter
accompagner les professionnels de l'orientation dans l'acquisition de la posture de formateur
Le référentiel des compétences à s'orienter est le point de départ indispensable de toute cette démarche d'accompagnement au développement de l'autonomie des personnes quant à leur capacité à s'orienter par elles-mêmes. En effet, c'est à partir de ce référentiel que l'on pourra ensuite construire les indicateurs de niveau de maîtrise de chaque compétence à s'orienter. Ensuite, à partir des indicateurs de niveaux de maîtrise, il sera possible de décliner des contenus d'apprentissage formalisés en objectifs pédagogiques.
Le référentiel des compétences à s'orienter
Au niveau européen, le réseau ELGPN (European Lifelong Guidance Policy Network) vise à soutenir le développement des politiques publiques en matière d’orientation de ses pays membres. Le réseau collabore avec de nombreux organismes et réseaux nationaux, européens et internationaux comme l’OCDE, le CEDEFOP, Eurodesk et Euroguidance.
Ainsi pour Euroguidance, le réseau pour l’orientation et la mobilité en Europe, la compétence à s’orienter se définit comme « la capacité à recueillir, analyser, synthétiser et organiser les informations sur les formations et les métiers mais aussi comme la capacité à se connaître soi-même pour prendre les bonnes décisions afin d’aborder les transitions inhérentes à tout parcours individuel et professionnel. ». (ELGPN, 2013)
Par ailleurs, la résolution du 21 novembre 2008 est accompagnée d'annexes destinées à donner les lignes directrices de sa mise en pratique. Ainsi l'axe d'action N°1 «FAVORISER L'ACQUISITION DE LA CAPACITÉ À S'ORIENTER TOUT AU LONG DE LA VIE » précise l'acception de cette capacité par l'union européenne comme incluant les dimensions suivantes :
se familiariser avec l'environnement économique, les entreprises et les métiers;
savoir s'auto-évaluer, se connaître soi-même et être capable de décrire les compétences acquises dans le cadre de l'éducation formelle, informelle et non formelle,
connaître les systèmes d'éducation, de formation et de certification;
Plus largement, cet axe d'action rappelle que la capacité à s'orienter est déterminante pour donner aux citoyens les moyens de les rendre acteurs de la construction de leur parcours d'éducation, de formation, d'insertion et de vie professionnelle. Il précise également que cette aptitude, qui devrait être entretenue tout au long de la vie, s'appuie sur les compétences clés, notamment la compétence "apprendre à apprendre", les compétences sociales et civiques, y compris les compétences interculturelles et l'esprit d'initiative et d'entreprise.
De son côté, l’Education Nationale, dans la circulaire de 1996, définit la capacité à s'orienter comme les «compétences requises pour former des choix aussi autonomes que possible et pour les mettre en oeuvre selon des stratégies appropriées ». Dans cette même circulaire, il est précisé que ces compétences et connaissances relèvent de trois domaines :
Une approche des activités professionnelles et de l'environnement social et économique ;
Les grandes lignes des systèmes de formation ;
La connaissance de soi.
Le monde scientifique s'est également penché sur ce concept de compétences à s'orienter. C’est le cas, par exemple d’Olivier DULU qui a soutenu en 2014 une thèse intitulée « Approche structurale de la compétence à s’orienter ; proposition d’un modèle général, hiérarchique, dynamique et multivarié » (Dulu, 2014). Ou encore de Thi Van PATILLON qui a soutenu, lui aussi en 2014, une thèse intitulée « Créativité, adaptabilité et compétences à s’orienter tout au long de la vie » (Patillon, 2014).
De son côté, Jean Pralong, Responsable de la Chaire "Nouvelles Carrières" à Neoma Busines School, propose un référentiel de 8 habiletés conçues comme 8 compétences à s’orienter (Pralong, 2015).

On le voit, le concept de « compétences à s'orienter » est défini. Son périmètre et son contenu sont précisés. Mais il n'existe pas encore de référentiel partagé largement par les professionnels de l'accompagnement.
L'étape 1 est donc bien engagée. Il reste à la finaliser et à enclencher le travail sur les 3 étapes suivantes
Références :
Cnesco (2018). Comment l’école aide-t-elle les élèves à construire leur orientation ? Dossier de synthèse.
CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE, (2008). Mieux inclure l'orientation tout au long de la vie dans les stratégies d'éducation et de formation tout au long de la vie. Résolution du Conseil, 2905ème session du Conseil ÉDUCATION, JEUNESSE et CULTURE, Bruxelles, le 21 novembre 2008
Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles - CNEFOP (2016). Premier rapport sur la mise en oeuvre du Compte personnel de formation et du Conseil en évolution professionnelle.
Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles - CNEFOP (2017). Rapport 2017 sur le suivi et la mise en oeuvre du Conseil en Evolution Professionnelle (CEP) et du Compte Personnel de Formation (CPF).
Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles - CNEFOP (2018). CEP - 4 ans de mise en œuvre - Ambitions, déploiement, effets, perspectives.
Dulu, O. (2014). Approche structurale de la compétence à s’orienter ; proposition d’un modèle général, hiérarchique, dynamique et multivarié. Thèse de doctorat sous la direction du Pr. LOARER Even Professeur du Cnam.
Education Nationale (1996).Mise en oeuvre de l'expérimentation sur l'éducation à l'orientation au collège. Circulaire no 96-204 du 31 juillet 1996 (Texte adressé aux recteurs d'académie et aux inspecteurs d'académie, directeurs des services départementaux de l'Education nationale - NOR : MENL9602213C)
ELGPN (2013). Kit de ressources – axe 1 : Acquérir la capacité à s’orienter tout au long de la vie. Euroguidance, décembre 2013. (http://www.euroguidance-france.org/wp-content/uploads/2014/07/ELGPN-Kit-de-ressources.pdf )
Léon, A. (1957). Psychopédagogie de l'orientation professionnelle. Paris, PUF
Merieu, P. (1991). INDIVIDUALISATION, DIFFERENCIATION, PERSONNALISATION : de l'exploration d'un champ sémantique aux paradoxes de la formation. Colloque de l'AECSE, Lyon.
OCDE (2004). Orientation professionnelle et politique publique : comment combler l'écart. Paris : OCDE.
Patillon, T. V. (2014). Créativité, adaptabilité et compétences à s’orienter tout au long de la vie. Thèse de doctorat sous la direction du Pr. FORNER Yann, Université de Lille 3 et du Pr. LOARER Even Professeur du Cnam.
Pelletier D., Noiseux G., Bujold C. (1974). Développement vocationnel et croissance personnelle. Approche opératoire. Montréal : McGraw-Hill.
Pralong, J. (2015). HR Insights # 04 : La compétence à s’orienter : pourquoi certains rebondissent plus vite que d’autres ?. NEOMA Business School, Chaire Nouvelles Carrières
Riverin-Simard, D., Simard, Y. (2004). Vers un modèle de participation continue : la place centrale de l'orientation professionnelle. Québec