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Les reconversions professionnelles à l’affiche : est-ce si simple ?

Changer de vie professionnelle, donner du sens à son travail, se reconvertir: beaucoup en parlent, certains le font...est-ce si simple ?

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André Chauvet
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Les reconversions professionnelles à l’affiche :  est-ce si simple ?

Un contexte propice

La période traversée depuis de longs mois a eu des conséquences significatives sur les relations au travail et à l’emploi, certaines prévisibles dès le début du confinement, d’autres plus inattendues qui apparaissent seulement aujourd’hui. Le débat polémique, ouvert durant le premier confinement, sur les activités dites « essentielles », « indispensables » n’a laissé personne indifférent. Il a interrogé chacun de nous sur les relations construites avec son travail, son emploi, son entreprise, la valeur qu’il a pour nous, et aussi la « valeur » qu’on nous attribue. Certains salariés, dispensés de télétravail au nom du fameux « non essentiel » ont découvert avec effroi que la reconnaissance de leur investissement était aussi sujette à aléas : interrogation de la place et de la valeur travail ; focalisation sur le sens individuel et collectif ; questionnement de la hiérarchie du prestige et des salaires ; impacts du stress au travail sur la santé....tous ces éléments se sont invités dans le débat. Cela a aussi impacté la sémantique utilisée : alors qu’il était question d’évolution professionnelle (le conseil en évolution professionnelle CEP dans sa version de 2019 s’est développé juste avant le premier confinement), on a vu progressivement apparaître le terme de reconversion professionnelle. La sémantique est rarement neutre. Ce léger déplacement de terme s’inscrit dans une réflexion de la puissance publique sur la manière de mieux articuler les évolutions socio-économiques (en somme les besoins en terme de compétences et de professionnels qualifiés) et les demandes d’évolution professionnelle des actifs. Les pratiques purement adéquationnistes ayant montré leurs limites (on ne rend pas attractifs certaines activités professionnelles discréditées pendant des décennies avec un simple plan média), on s’est intéressé aux dynamiques territoriales et aux impacts possibles d’actions au plus près des acteurs. Cette réflexion sur les outils et dispositifs à développer est illustrée dans l’initiative Transitions collectives en cours de mise en œuvre.

La question du sens

Mais cette réflexion a croisé tout un mouvement médiatique autour de la recherche du sens du travail, d’une volonté de réalisation de soi par la reconversion, d’une aspiration à plus de cohérence entre choix individuels et enjeux collectifs : là encore, on a rivalisé de termes accrocheurs : changer de vie, sauter le pas, oser le changement...une émission récente d’Arte Vox Pop « Reconversion professionnelle : vive le changement » de septembre 2021 présente son émission ainsi : Le Forum économique mondial prédit la fin des carrières linéaires : un enfant en maternelle aujourd’hui connaîtra en moyenne neuf métiers différents au cours de sa vie. Comment avons-nous basculé dans l’ère de la valorisation du changement.  On peut bien sûr s’amuser ou s’étonner de statistiques de cette nature dont les fondements sont toujours mystérieux. Mais quelle que soit la valeur prédictive de ces chiffres, ils révèlent surtout une préoccupation nouvelle. Sur le site Nouvelle vie professionnelle, on retrouve ces derniers jours un article intitulé « Quête de sens au travail : comment avoir une carrière à impact ? développé ainsi « Vous trouvez que votre travail manque de sens ? Vous avez envie d’avoir un impact sur la société avec votre métier ? Vous souhaitez transformer votre emploi, en changer ou encore créer votre propre job ? ». Cette réflexion intègre également la question du lieu de vie. Selon un récent sondage, 31 % des habitants des grandes agglomérations souhaiteraient partir. L’exode urbain n’est pas encore observable mais l’interrogation est souvent présente.

Un risque de banalisation de l’héroïsme individuel

Ce qui frappe souvent, c’est le lyrisme entourant la description de ces parcours de reconversion. J’étais dans une cage dorée. Ce que je faisais ne m’intéressait pas. Directeur travaillant dans le monde de la bourse, il « a tout plaqué » pour devenir naturopathe. Tel est l’exemple mis en évidence dans l’émission d’Arte. Si ces trajectoires sont admirables et dignes à la fois de reconnaissance et d’inspiration, elles posent le problème de la valorisation d’une sorte d’héroïsme individuel propre aux sociétés mettant en avant un sujet « entrepreneur » de sa propre vie. La réalité est plus nuancée. Ces mobilités sont bien sûr d’abord liées à la situation économique du pays (et aussi au lieu de vie des personnes). Elles supposent également à la fois une confiance dans l’avenir et une capacité à faire face aux bouleversements inhérents à tout changement professionnel radical (impacts familiaux, statutaires, financiers, de lieu et de mode de vie). Elles supposent également la maîtrise des différents leviers à activer (dispositif, financements) et aussi la capacité à les comparer pour faire des choix éclairés. Ainsi les projets de transition professionnelle des salariés ne sont aujourd’hui pas tous financés par les associations Transitions Pro. Il ne s’agit donc pas uniquement de vouloir. Il est aussi nécessaire de s’en sentir capable dans un environnement où la complexité perçue et l’imprévisibilité ont augmenté. Or, ce sont les deux critères qui freinent légitimement ceux qui n’ont pas la possibilité de prendre des risques inconséquents. Tout cela montre bien une volonté de valoriser le changement professionnel. La stabilité ne ferait plus recette ! Et dans ce contexte, le non recours au droit, la pauvreté et les inégalités persistantes interrogent nos réponses collectives.

Une aspiration étayée par des données

Ces mouvements ne sont pas que valorisés par les médias. Ils sont aussi observables sur le terrain à partir d’un certain nombre de signes. Ainsi le bilan de compétences est une des prestations les plus mobilisées dans le cadre du Compte personnel de formation en France avec une augmentation significative en 1 an. En cette fin d’année, plus d’un cadre sur deux (52 %) considère à nouveau que changer d’entreprise est « une opportunité » et non plus « un risque », indique l’APEC. Dans sa dernière note, l’APEC précise : Dans le même temps, alors que les entreprises affichent une confiance retrouvée, le désir de mobilité des cadres continue de progresser, chez les moins de 35 ans mais aussi chez les cadres en milieu de carrière, profils particulièrement convoités des recruteurs....». 

Une enquête du média HelloWorkplace en mars 2021 auprès de 1000 salariés et plus de 400 recruteurs semble indiquer que la crise a éveillé une envie de mobilité professionnelle chez de nombreux salariés. Un répondant sur deux a intensifié ses recherches d’emploi durant cette période. Parmi les principales raisons avancées pour ce désir de changement : l’envie d’un nouveau projet qui a émergé durant la crise (53%), la manière dont l’entreprise a géré la crise sanitaire (36%), le souhait de changer d’aller vivre ailleurs (36%).

Une désynchronisation entre marché du travail et aspirations

Cet environnement complexe, évolutif et inquiétant pose des questions importantes en terme de service aux personnes dans la construction de leur vie professionnelle. Si les raisons de cette aspiration à changer ont augmenté, la nature de la demande de reconversion n’a pas nécessairement évolué. Lionel Lemaire, Directeur Général de Transition Pro Grand Est pondère : Les mobiles de sollicitation et les projets des personnes ont peu évolués. Nous sommes toujours face à des personnes qui trouvent une motivation interne à engager un changement. Changer de métier pour quitter une situation ou pour se retrouver plus en accord avec ce qu’ils font. Le contexte de l’entreprise peut être un élément déclencheur, mais ce n’est pas la majorité (ou alors par anticipation personnelle). Si on étudie plus finement les secteurs d’origine et ceux vers lesquels les personnes souhaitent aller, nous pouvons constater une relative stabilité depuis 2019.

Donc, ce qui paraît nouveau, c’est que la demande de changement professionnel vers plus de sens et de reconnaissance se conjugue avec une tension importante sur le marché du travail. Logistique, hôtellerie, bâtiment… A travers l’Europe, la grande pénurie de main-d’œuvre titre Le monde le 25 août 2021. Chaque région se mobilise pour valoriser les emplois non pourvus et tous les acteurs à tous les échelons géographiques investissent la question. Des secteurs très difficiles d’accès auparavant se trouvent en pénurie de candidats (travail social par exemple). On observe une sorte de désynchronisation. Le France investit des sommes considérables dans des dispositifs de développement des compétences. Or on peut constater que l’analyse par un simple déficit de compétences (qu’il suffirait de développer) ne suffit pas à expliquer totalement cette désynchronisation. Les comparaisons européennes nous interrogent aussi sur l’importance des prérequis en France et la place de l’entreprise dans le processus formatif. Nous développerons cette question dans un autre article blog.

Alors quel apport de l’accompagnement dans ce nouveau paradigme ?

Les réponses en terme d’accompagnement

Le 9 novembre 2021 aura lieu la journée nationale de la reconversion. Les professionnels seront mobilisés à la fois pour faire connaître les services de conseil et d’accompagnement proposés et les dispositifs ou mesures mobilisables par les personnes. Car dans plusieurs études, le public exprime une information insuffisante sur les possibilités d’évolution. Mais informer ne suffit pas. On voit que les métiers de l’accompagnement aux évolutions (et donc aux reconversions) professionnelles supposent un professionnalisme très subtil : développer la capacité à écouter et rencontrer la personne dans ce qui la préoccupe et l’intéresse ; mettre à sa disposition des ressources et des informations utiles à sa stratégie qu’elle peut à la fois connaître, s’approprier et utiliser ; faciliter l’élaboration de scénarii professionnels avec des options variées permettant de décider en connaissance de cause avec des risques connus et acceptés, pour soi et les autres. Il n’y a pas de reconversion professionnelle sans risque. Mais l’insistance actuelle sur la simple volonté (si on veut on peut) peut renforcer l’hésitation des personnes qui ne sentent pas l’âme d’un héros. En ce sens, les professionnels de l’accompagnement aux évolutions professionnelles, quel que soit le cadre dans lequel ils interviennent (bilan de compétences, CEP, transitions Pro...) sont irremplaçables. Car il ne s’agit ni de se contenter d’expliquer des dispositifs, ni de formuler des recommandations stratégiques. Les algorithmes et les Intelligences artificielles à venir s’en chargeront.  

Par ailleurs, cette tension entre aspiration individuelle à plus de sens et de reconnaissance et crainte des entreprises de ne plus pouvoir se développer faute de candidats ou de professionnels compétents n’est pas nouvelle. Mais elle est aujourd’hui amplifiée et les réponses ne peuvent être de « plus de la même chose » (plus de formation pour développer les compétences nécessaires) ou un simple adéquationnisme revisité avec un algorithme de matching. Sur le terrain, les choses peuvent se faire assez simplement. Ainsi, Lionel Lemaire précise : Que ce soit au plus fort de la crise sanitaire ou aujourd’hui, et face aux tensions de recrutement, c’est avant tout la connaissance antérieure d’un métier ou d’un secteur ou l’existence d’une opportunité ciblée, mobilisatrice et accessible qui guide les choix des personnes. Encore faut-il qu’elles puissent avoir accès à ces informations et s’y retrouver dans la complexité des dispositifs.

Perspectives

Cette focalisation sur les reconversions professionnelles dans un contexte de recrutement difficile nous invite à interroger nos modèles. La simple valorisation de la volonté individuelle avec la mise en œuvre de dispositifs conditionnés par de nombreux critères, si elle favorise les personnes qui maîtrisent les codes peut largement exclure celles qui sont rebutées tant pas la complexité (trop de démarches) que par le risque (trop d’incertitude). En ce sens, l’accompagnement est essentiel. Mais au-delà, la réflexion sur le « pour tous » passe aussi par une centration nouvelle sur les enjeux territoriaux et sur les dynamiques possibles avec tous les acteurs du monde économique et social. Il s’agit sans doute de rapprocher la focale des lieux de vie des personnes ; faciliter le dialogue entre tous les acteurs du territoire, dont l’entreprise ; faire en sorte que les personnes en souhait de mobilité soient écoutées et prises en compte. Tout cela est déjà à l’œuvre mais nécessite sans doute d’être amplifié et peut être modélisé.  Car l’accompagnement ne peut s’affranchir, ni d’écoute personnalisée, ni de la connaissance précise des dispositifs et de leurs subtilités ni des opportunités d’emploi. Ce qui fait de l’accompagnement un levier important pour faciliter l’accès de tous aux possibilités d’évolution.

Et cela ouvre des réflexions essentielles sur la nécessité de sortir de logiques de dispositifs pensés d’en haut, fondés sur un prototype d’utilisateur rationnel qui n’existe pas. Il s’agit de peaufiner des processus de proximité sur mesure où tous les acteurs, dont les salariés sont partie prenante. Lionel Lemaire précise ces enjeux territoriaux ainsi : « Jamais le monde économique n’a été aussi réceptif aux démarches de transitions :  les entreprises qui peinent à recruter, les bassins de vie qui doivent maintenir ou développer leur vitalité, tout cela plaide pour initier un dialogue entre les personnes en activité et tous les acteurs.

Cela invite aussi à repenser les parcours professionnels dans une sorte de continuité où les possibilités d’emploi peuvent être aussi considérées comme des moyens (et non plus uniquement comme des finalités) pour permettre aux personnes de vivre une vie qui leur convient. Mettre trop d’enjeux sur la recherche d’un métier rêvé s’explique dans la période traversée. Mais c’est aussi le risque que le travail ne soit jamais à la hauteur de nos aspirations. Tout cela nécessite, pour nous tous, des arbitrages permanents. Assez loin du mythe du changement de vie tel comme promu dans certains médias.

 Cela implique aussi de laisser du jeu aux acteurs pour construire des réponses adéquates et donc de faire confiance. Une normalisation excessive ne peut qu’exclure les personnes auxquelles on dédie des dispositifs. Il y a donc toujours des risques. Des démarches réellement inclusives sont à ce prix. La philosophe Michela Marzano a cette jolie formule : la confiance est une trace d’humanité, son résultat n’est jamais garanti.

 

                                                                                                                      André Chauvet

06_transitions pro.jpg.

 

https://www.nouvelleviepro.fr

https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/10/27/les-cadres-retrouvent-leur-mobilite_6100070_1698637.html

https://corporate.apec.fr/home/espace-medias/la-dynamique-du-marche-de-…

Logistique, hôtellerie, bâtiment… A travers l’Europe, la grande pénurie de main-d’œuvre titre le monde le 25 août 2021

https://www.arte.tv/fr/videos/105457-001-A/reconversion-professionnelle…

https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/08/25/logistique-hotellerie-batiment-a-travers-l-europe-la-grande-penurie-de-main-d-uvre_6092263_3234.html

https://www.helloworkplace.fr/crise-sanitaire-emploi-teletravail/

 

 

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