S’exprimer à haute voix : les médias communautaires au service de l’autonomisation
[Traduction (allemand-français) : EPALE France]
S’exprimer à haute voix : les médias communautaires au service de l’autonomisation
Par Natalie Konyalian et Petra Pint
À une époque où les droits des femmes et des migrants sont de plus en plus bafoués, où les inégalités se creusent et les conflits s’aggravent aux niveaux local et mondial, il est essentiel de protéger les espaces dans lesquels les personnes touchées par ces bouleversements peuvent exprimer leurs points de vue. Les médias communautaires sont un de ces espaces dans lesquels les voix peu audibles dans les médias grand public peuvent se faire entendre. Ils permettent aux gens de produire leur propre contenu, indépendamment de leur histoire, de leur éducation, de leurs compétences, de leur genre, de leur statut de résidence et bien plus encore. Ils jouent donc un rôle fondamental en les encourageant à devenir des acteurs indépendants et à participer activement au processus démocratique.
Les trois organisations partenaires (Frauen*solidarität [Autriche], Cyprus Community Media Centre - CCMC [Chypre] et Panjabi Centre [Royaume-Uni]) ont apporté leur expertise et leur expérience du travail avec les femmes et les minorités ethniques ainsi que leurs connaissances en matière d’utilisation des médias communautaires comme médiateurs dans les situations de conflit pour collaborer dans le cadre d’un projet intitulé « Speaking Out Loud ».
Qui nous sommes ?
En Autriche, Frauen*solidarität organise et accueille des événements qui réunissent des experts internationaux de la question du genre, des féministes et des militants pour les droits des femmes. L’organisation publie également un magazine trimestriel (depuis 1982), produit une émission de radio hebdomadaire (depuis 2005), met en œuvre des projets, développe du matériel didactique et gère une bibliothèque en coopération avec deux autres organisations. Frauen*solidarität propose également une formation aux médias pour les femmes et les filles.
Le CCMC est la principale organisation de médias communautaires de Chypre. En plus d’organiser des programmes de formation aux médias et à la communication pour les groupes de la société civile, le CCMC a également lancé une station de radio communautaire multilingue en ligne basée sur le volontariat (MYCYradio, la première du genre à Chypre) qui cible spécifiquement et renforce les communautés ainsi que les groupes défavorisés marginalisés par les médias traditionnels.
Le Panjabi Centre de Londres gère une station de radio communautaire (Desi Radio) ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et offre une formation en radio et en informatique aux hommes, aux femmes et aux jeunes de toute la communauté. Il organise également des manifestations culturelles panjabi pour favoriser l’autonomisation des femmes en s’appuyant sur le chant, les danses folkloriques, les contes et les représentations théâtrales.
Pourquoi c’est important ?
Le droit et la capacité de communiquer sont des éléments essentiels pour l’égalité des sexes, la représentation et l’intégration des migrants, ainsi que pour faire progresser les initiatives en faveur de la paix et de la résolution des conflits.
L’écart grandissant entre les femmes dont le statut économique et personnel s’est amélioré ces dernières années et celles qui ont été laissées pour compte évolue en parallèle de celui qui sépare les riches et les pauvres, les personnes pouvant s’appuyer sur un solide réseau et les plus faibles. Le projet « Speaking Out Loud » visait à faire prendre conscience des inégalités qui existent encore, à reconnaître la coopération internationale au niveau des mouvements de femmes (comme les conférences mondiales des Nations Unies sur les femmes) et à échanger autour des possibilités d’amélioration au niveau local.
Compte tenu de l’augmentation des niveaux de migration vers l’Europe au cours des dernières années et de l’instrumentalisation politique de cette migration, il était important de se concentrer sur le point de vue des migrants qui ont été exclus du discours actuel (comme la communauté Panjabi à Londres). D’une manière ou d’une autre, l’immigration affecte chaque pays, chaque famille, chaque individu. Ce projet a permis d’ouvrir un espace pour discuter de la manière dont les droits des migrants peuvent être renforcés et dont le racisme peut être combattu.
Les inégalités et les conflits entre groupes sociaux s’accentuent dans toute l’Europe, et pas seulement dans les zones de conflit des pays du Sud. Ce projet a permis d’aborder les approches actuelles sur les questions de consolidation de la paix et de résolution des conflits (comme le processus de paix à Chypre) et de fournir un espace pour réfléchir librement aux possibilités de paix aux niveaux local et mondial.
Nous rencontrer là où nous sommes
L’un des principaux objectifs du projet était de permettre aux organisations d’échanger des connaissances et des bonnes pratiques en travaillant avec des volontaires et en utilisant et pratiquant différentes méthodes de formation. Chacune des organisations partenaires s’est réunie à Vienne (Autriche), Nicosie (Chypre) et Londres (Royaume-Uni) où elles ont organisé des ateliers, principalement destinés aux femmes et aux migrants, ainsi que des réunions. Des partenariats et des contacts durables ont été établis et les réunions ont rassemblé des militants aux parcours divers issus de différentes organisations. Les ateliers ont permis aux participants de partager leurs expériences et d’élaborer un cadre théorique sur les droits des femmes et des migrants et sur la résolution des conflits. Ils ont aussi eu l’occasion d’échanger des connaissances pratiques en matière d’utilisation des médias communautaires.
Travailler ensemble
Les sessions de formation ont permis de renforcer l’autonomisation en discutant de sujets spécifiques tout en enseignant de nouvelles compétences médiatiques. Ces thèmes ont couvert la justice entre les sexes et le féminisme international lors de l’atelier de Vienne, les droits et la représentation des migrants, les politiques restrictives et le Brexit lors de la réunion de Londres, et les informations sur la paix, la résolution des conflits ainsi que la mise en récit du changement lors de la conférence à Nicosie.
En Autriche, les fruits de ces ateliers de formation se sont traduits par des vidéos sur la diversité, l’autonomisation des femmes et leurs droits sur le lieu de travail ainsi que par un programme de radio mixte portant sur les droits des femmes et les réformes de santé. À Londres, les participants, principalement des femmes panjabi, ont produit des documentaires et des feuilletons radio en hindi pour parler de leur situation au Royaume-Uni, de leurs difficultés familiales et du climat politique actuel. À Nicosie, le projet a donné lieu à un programme de radio mixte sur les questions liées au travail dans la zone tampon et sur la manière de mener une vie pacifique à travers le monde. Les participants ont également produit des drames radiophoniques sur les MGF et une adaptation pacifique d’une histoire tirée de la mythologie grecque. Lors du dernier atelier à Vienne, ils ont introduit un programme mixte sur la réaction antiféministe que l’on observe actuellement dans le monde politique autrichien.
Continuer à poser des questions > à partager avec un public plus large
Afin de mieux comprendre les trois principaux domaines du projet (genre, migration et résolution des conflits), les partenaires ont mené des entretiens entre eux, ainsi qu’avec d’autres organisations qui se montrent actives dans des champs liés au thème général du projet dans les différents pays concernés. Par exemple, un représentant de l’Association of Historical Dialogue and Research (AHDR) à Nicosie, Chypre, a été interrogé sur la façon dont son organisation contribue à ce que son public (principalement des jeunes et des enseignants) ait une meilleure compréhension de l’Histoire dans le contexte local en donnant accès à des opportunités d’apprentissage, tout en mettant l’accent sur le règlement des conflits. Ces entretiens ont ensuite été compilés sous forme de courtes émissions et enregistrés sur un CD destiné à être partagé avec le grand public. Toutes ces productions peuvent être téléchargées depuis le site Web des partenaires du projet et utilisées sans restriction.
Ce que nous avons accompli
Ce projet a donné aux bénévoles l’occasion de changer de perspective, de travailler sur de nouveaux thèmes et de transmettre la formation théorique et pratique qu’ils ont reçue à leurs organisations et stations de radio. Il leur a également permis d’approfondir leurs connaissances, de réfléchir sur les sujets abordés et d’acquérir un ensemble de compétences qui pourront leur être utile à l’avenir.
Les participants ont eu l’occasion de travailler avec des équipes internationales de formateurs et de bénévoles, acquérant ainsi de nouvelles connaissances sur le monde des médias communautaires internationaux. Un des participants à la session de formation de Vienne a ensuite visité le Panjabi Centre de Londres et produit une émission de radio parlant de son expérience. Les gens qui visitent et font du bénévolat au Panjabi Centre ont peu d’opportunités de côtoyer des personnes extérieures à leur communauté. Ce projet leur a permis de recevoir une formation traitant, sous un angle différent, des questions qu’ils n’auraient normalement jamais envisagées. L’expérience s’est révélée très importante pour eux, et ils la partageront certainement avec leurs amis ainsi que leur famille, diffusant ainsi les connaissances qu’ils ont acquises.
Sans cette initiative, la plupart des participants aux ateliers de Chypre, et tout particulièrement les réfugiés, n’auraient peut-être jamais eu l’occasion de rencontrer des experts venus du Royaume-Uni ou d’Autriche. Ces gens n’avaient eu que peu, voire pas du tout, de contacts avec ce type d’organisations auparavant, mais ont montré un vif intérêt pour les sujets abordés. Cela a donc constitué une précieuse source d’informations et d’interactions qui pourra les aider à être davantage autonomes et à approfondir leurs connaissances.
Conclusion
La collaboration entre les trois organisations qui ont pris part à ce projet s’est non seulement avérée précieuse pour les participants à l’atelier, mais a également permis de nouer des liens entre les organisateurs, qui ont pu s’informer sur des questions dont ils n’auraient pas été conscients ou auxquelles ils n’auraient pas été exposés autrement. Elle a également contribué à mieux faire comprendre l’utilité des médias communautaires, en particulier de la radio, et la manière dont ils peuvent être utilisés dans chaque région, en fonction du contexte local. Par exemple, le CCMC de Nicosie, une ville divisée depuis 45 ans, est situé dans la zone tampon contrôlée par l’ONU. En raison de cette localisation, la structure, la mission et les opérations de l’organisation sont tout à fait uniques, ce qui lui permet de jouer un rôle essentiel au niveau local dans le processus de paix. Il s’est avéré très enrichissant de parler aux habitants de différentes régions et d’apprendre à connaître leurs points de vue et les problèmes auxquels ils sont confrontés au quotidien, et cela nous aidera à intégrer de nouvelles expériences dans nos futurs projets.
Plus d’informations :
http://www.frauensolidaritaet.org/erasmusplus
#ERASMUSDAYS : https://cba.fro.at/386082
Illustration : © Frauen*solidarität/CCMC/Desi Radio
Auteurs :
Natalie Konyalian est coordinatrice de projet, productrice média, responsable du studio MYCYradio et coordinatrice de la production au Cyprus Community Media Centre.
Petra Pint est rédactrice en chef du magazine « Frauen*Solidarität » (www.frauensolidaritaet.org). Elle y développe et organise également des ateliers médias et est membre du collectif radio « Women on Air » (www.noso.at).
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