Les enjeux des compétences vertes et verdissantes par Sophie Margontier!
Entretien pour EPALE France avec Sophie Margontier, cheffe de projet transition écologique et compétences, délégation générale à l’enseignement et à la formation professionnelle au Ministère du Travail
EPALE : Pouvez-vous vous présenter ?
Sophie Margontier : Je travaille depuis six mois au ministère du Travail, plus précisément à la mission anticipation et développement de l’emploi et des compétences de la DGEFP (délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle), où je suis cheffe de projet compétences et transition écologique. Auparavant je travaillais au service statistique du Ministère de la Transition écologique, j’avais notamment en charge l’animation de l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (Onemev). Je travaille sur la question des compétences depuis 2020 : c’est à ce moment-là que le sujet a commencé à prendre une ampleur importante au titre de la transition écologique.
Aujourd’hui, mes missions sont transverses, à l’image de la transition écologique. Tout un pan de mon activité consiste en la mise en place et l’animation de réseaux « Référents Transition écologique » : en interne à la DGEFP, au sein de nos services déconcentrés que sont les DREETS (Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités), ainsi qu’un réseau qui est en train de se mettre en place avec des opérateurs de compétences ; ces onze acteurs, structurés selon les secteurs économiques, ont en charge l’accompagnement de la formation professionnelle continue. Depuis la loi Climat et Résilience de 2021, ils ont une mission d’information et d’accompagnement des entreprises et des branches professionnelles sur la transition écologique.
Je m’occupe aussi de l’animation des acteurs qui travaillent sur l’emploi et la transition écologique, via l’observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (Onemev)[1]. Une autre partie de mon travail consiste à suivre les chantiers interministériels en lien avec le Secrétariat général à la planification écologique, notamment sur la rénovation énergétique des bâtiments, les transports, l’industrie, etc.
Enfin, en interne, il s’agit de suivre les dispositifs que nous portons au sein de ma mission, voire de ma sous-direction sous l’angle « Transition écologique » : par exemple, les EDEC (engagement et développement de l’emploi et des compétences), qui permettent d’accompagner les branches professionnelles sur leurs besoins en emplois ; la prestation de conseil en RH pour accompagner les entreprises dans leurs besoins RH associés à la transition écologique, le FNE-Formation pour aider les entreprises à financer des formations en lien avec les transitions écologiques, numériques et alimentaires.
EPALE : Qu’appelle-t-on des compétences vertes ou des compétences verdissantes ?
Sophie Margontier : Dans le cadre des travaux de l’Onemev, créé il y a plus de dix ans, nous avons mis en place des définitions pour tenter de définir le périmètre du sujet « emploi » de la transition écologique. Nous avons distingué à l’époque les métiers dits « verts », des métiers « verdissants ». Pour résumer, on appelle métier vert un métier qui contribue directement à la protection de l’environnement, comme par exemple un agent technique de rivière, un agent de tri, un chargé de mission biodiversité, etc. Le sujet du verdissant est lui plus complexe, car il concerne des métiers dont les compétences évoluent ou dont le geste métier change pour intégrer les enjeux environnementaux. Potentiellement tous les métiers sont concernés, mais de manière différente selon les secteurs d’activité, les types de métiers. Et ce degré de verdissement est d’ailleurs difficile à lire à partir des nomenclatures statistiques. Cela nécessite des études qualitatives sur l’impact de la transition écologique sur l’évolution des métiers et des compétences.
A noter que la transition écologique génère peu de nouveaux métiers à l’exception de métiers très spécifiques, par exemple l’émergence du métier de maitre composteur liée à la réglementation sur le compostage des biodéchets ou encore, dans le commerce, le métier de chef de projet pour la valorisation des invendus. En revanche, les enjeux concernent davantage les métiers existants qui vont devoir se transformer, dans toutes les filières, selon une intensité plus ou moins forte, selon l’activité de l’entreprise et le secteur dans lequel elle se situe, et quelques fois selon les spécificités des territoires. Sur ce point on va plutôt parler d’hybridation des compétences, quand les compétences additionnelles, verdissantes, s’ajoutent aux compétences de base. Elles peuvent être techniques, comme dans le bâtiment où les artisans doivent travailler avec de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques d’isolation, ce qui change leur geste métier. Un chargé d’affaire dans l’éolien aura, lui, besoin à la fois de compétences techniques sur l’éolien et mais également de compétences commerciales. Le gérant de restauration collective devra, quant à lui, être en mesure de revoir sa politique d’achats pour prendre en compte les circuits courts, la saisonnalité des produits, la lutte contre le gaspillage...
Aujourd’hui les secteurs comme la rénovation énergétique des bâtiments, les transports, l’industrie… sont au cœur de la transition écologique car à fort enjeu de décarbonation. Mais la transition écologique c’est aussi la prise en compte des impacts sur la ressource (en eau par exemple), sur la gestion des déchets… Dans les métiers de la culture, il est par exemple nécessaire de penser différemment l’organisation de festivals.
EPALE : Quels sont les enjeux de la montée en puissance de ces compétences ?
Sophie Margontier : Une des difficultés est l’identification de compétences nécessaires pour répondre aux enjeux environnementaux et de transition écologique, car comme je l’ai dit précédemment, il n’y a pas une réponse unique mais des réponses selon les secteurs, les métiers, ce qui accentue la difficulté du système de formation à répondre à ces besoins en compétences. Car cela suppose aussi que l’offre de formation réponde aux besoins du territoire et que les formateurs se forment. Les études « qualitatives », qui peuvent être conduites dans le cadre d’un EDEC, apportent des réponses à ces enjeux. Nous allons aussi travailler prochainement à une cartographie de ce qui se passe dans chaque secteur : l’évolution des métiers, l’impact sur l’emploi à l’horizon 2030, l’offre de formation existante et les adaptations nécessaires.
Il est de toute façon nécessaire d’outiller les entreprises et les branches sur ces sujets, notamment les TPE-PME qui ont plus de difficultés que les grosses entreprises à modifier leur modèle économique pour répondre aux enjeux de la transition écologique. Même si aujourd’hui le principal levier reste la règlementation, les TPE-PME se sentent démunies, elles sont prises dans la gestion du quotidien et il y a un enjeu à les accompagner. La DGEFP propose par exemple une prestation de conseil RH orienté transition écologique. Mais le problème c’est que l’on manque de consultants qui ont à la fois des compétences sur les questions RH mais aussi sur la transition écologique. On retrouve la notion de tout à l’heure sur l’hybridation des compétences.
Il y a aussi un enjeu à sensibiliser tous les acteurs sur les enjeux environnementaux et climatiques ainsi que sur leur impact dans les différents secteurs. Dans une entreprise, cela concerne tous les salariés mais aussi les dirigeants, via la formation professionnelle, les fresques climat, biodiversité et économie circulaire. C’est un premier niveau indispensable. Il est important aussi d’embarquer les partenaires sociaux sur ces sujets. Il y a ensuite un niveau plus « technique », décliné par secteur/activité qui consiste à se poser la question des changements nécessaires pour un métier donné qui permet de mieux comprendre et intégrer ce que la transition écologique veut dire dans mon quotidien professionnel.
EPALE : Quelles actions sont mises en place pour répondre à ces enjeux ?
Sophie Margontier : Je reviens sur les opérateurs de compétences (OPCO) qui se sont mis en ordre de marche. Depuis la loi climat, les initiatives et les outils mis en place foisonnent. Il faudra juste trouver ce qui va permettre d’aligner les messages, d’harmoniser le tout. Il y a certainement un enjeu à harmoniser l’offre de service « transition écologique » des OPCO envers les entreprises. Aussi, nous avons besoin d’une vision globale doublée d’une vision territoriale et d’un langage commun aux deux. Des travaux sont en cours par exemple avec Pôle emploi pour identifier ce qui relève de la transition écologique dans le nouveau référentiel de compétences : le ROME 4.0. D’autres travaux sont menés par le Réseau des Carif-Oref pour permettre à terme, d’avoir des listes de nomenclatures de formations et de compétences. Tout cela participe à cet objectif de langage commun.
S’agissant du ministère du Travail, comme évoqué précédemment, les dispositifs portés par la DGEFP comme les EDEC, la PCRH (Prestation de Conseil en Ressources Humaines) et le FNE-Formation ont évolué pour intégrer les enjeux de transition écologique. Un Appel à manifestation d’intérêt « compétences et métiers » d’avenir a été lancé dans le cadre de France 2030 avec une coprésidence du ministère du Travail. Ce dispositif vise à accélérer l’adaptation de l’offre de formation initiale et continue et répondre aux grands objectifs tels que la décarbonation de l’industrie et des mobilités, ou encore le développement de technologies « vertes ».
EPALE : Quelles sont pour vous trois compétences d’avenir ?
Sophie Margontier : Ce n’est pas simple d’y répondre, mais une compétence qui semble nécessaire pour l’avenir est la capacité à penser le côté systémique de la transition écologique, c’est-à-dire avoir une vision à la fois globale et technique, comprendre les interactions, le changement et les besoins en changement.
Un autre point que je voulais indiquer ne concerne pas tant une compétence qu’un besoin de connaissances sur les enjeux de la transition écologique et de l’impact de nos activités sur l’environnement. C’est essentiel à la prise de conscience, préalable à l’action. Enfin, je ne vais pas parler de compétence mais plutôt de modalité de travail à mettre en place pour favoriser la transversalité et le décloisonnement, caractéristiques intrinsèques de la transition écologique. Il n’est plus possible de travailler en se concentrant sur son propre champ sans prendre en compte les autres.
[1] L’Onemev regroupe des acteurs comme l’Afpa, l’Ademe, le Céreq, France Stratégie, le CGDD, l’APEC, France Compétences, le Réseau des Carif-Oref, l’Alliance Villes Emploi…