Le portfolio en formation des adultes

Béatrice Savarieau et Marielle Boissart ont organisé une journée scientifique (4 avril 2018) sur « le portfolio dans la relation emploi-formation », dans le cadre du laboratoire CIRNEF Université de Rouen Normandie. Cette journée fait suite, et est en écho, à la parution de leur ouvrage paru en 2016 : Le portfolio entre ingénierie et reliance sociale. Editions L’Harmattan, collection Ingénieries et Formations.
Cette journée a été l’occasion de rencontrer Marielle Boissart et Béatrice Savarieau, et de les interviewer sur le portfolio, sa place et son intérêt en formation des adultes, et les liens avec la thématique de l’orientation. C’est un échange à deux voix que nous vous proposons.
Pour démarrer, pouvez-vous me dire qui vous êtes et ce qui vous a amené à travailler sur le portfolio ?
Marielle Boissart : Je suis membre associée au Laboratoire CIRNEF de l’université de Rouen en tant que Docteure en sciences de l’éducation. Mes travaux de recherche portent sur les designde formations des adultes en explorant les professionnalisations qu’ils engendrent. Ma thèse de doctorat, soutenue en Décembre 2014, avait pour titre : « La formation infirmière : l’ingenium à l’œuvre d’une organisation professionnalisante pour les étudiants et les cadres de santé formateurs ». En effet, je suis infirmière de formation initiale puisj’ai eu des expériences de cadre de santé et de cadre supérieure de santé-adjointe à la Direction des Instituts de Formations Paramédicales d’Aubagne. Actuellement, je suis en formation de directeur des soins à l’EHESP (École des Hautes Études en Santé Publique) à Rennes.
Béatrice Savarieau : Je suis maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’université de Rouen, membre du laboratoire CIRNEF. J’interviens en premier et second cycles universitaires, dans lesquels les évolutions récentes orientant les pratiques pédagogiques dans des logiques professionnalisantes, qui questionnent les apprentissages, les orientations et les insertions professionnelles des étudiants. Cette tendance s’accompagne de l’intégration des stages qui se généralise dans les cursus de formation et questionne la nécessité d’accompagner le développement des apprentissages qui peuvent en résulter. En tant que chercheuse dans le champ de la formation des adultes et des technologies, ces évolutions m’ont conduit à introduire des usages du portfolio Maharadans deux de mes cours, « analyse de pratique » et « accompagnement à la construction du projet personnel et professionnel ».
D’où vient le terme de portfolio ? Quelles sont son histoire et son entrée dans le champ de la formation ?
Marielle Boissart : Étymologiquement folio vient du latin foliumqui désigne à la Renaissance une feuille. Il deviendra le feuillet d’un manuscrit. Emprunté à l’italienportafogli, portfolio provient de l’anglais (to interfoliate) signifiant ranger des feuilles de papier blanc dans un carton double. Ce concept de portfolio longtemps associé aux arts peinture, photographie, etc. est retrouvé dans les domaines de l’éducation et de la formation et ce, au départ en Amérique du Nord. Son acception est celle d’un porte-document. Il revêt à la fois la fonction d’outil mais également de démarche. Un groupe de travail de la commission scolairedes Premières-Seigneuries au Québec définit le portfolio comme étant : « Un outil d'évaluation des apprentissages qui permet de recueillir etde conserver des échantillons des réalisationsde l’élève. Il s'inscrit dans une démarche d'évaluation formative continue et est réaliséen collaboration avec l’élève[1]».
Il apparaît déjà la notion de travaux effectués par l’apprenant qui joue un rôle actif dans ses apprentissages puisqu’il collabore à la réalisation du portfolio. L’aspect formatif lui est aussi conféré. Une autre définitiondonnée dans un rapport de la Direction desressources didactiques du Ministère del’Éducation du Québec, vient ajouter une notion de sélection de documents : « Une collection de travaux d’un élève qui fait foi de sa compétence en gardant des traces pertinentes de ses réalisations[2]».
Il est également ajouté que : « Le portfolio rend compte du cheminement personnel de l’élève[3]». Ces définitions font état d’une collection structurée de travauxvariés et de réflexions d’un étudiant qui lui permetde rendre compte des apprentissages réalisés pendant son parcours de formation (J. Barett, 2004 ; M. Challis, 2005).
Ces travaux et réflexions sont des documents qui ont un intérêt dans la mesure où ils constituent des preuves d’apprentissage (J. Tardif, 2006). Parmi ces documents, il peut être retrouvé : des travaux écrits, des projets de recherche, des rapports de lecture, des textes des observations en milieu professionnel, des commentaires de superviseurs, d’enseignants ou de pairs, des analyses desituations cliniques, etc.
Béatrice Savarieau : Si le portfolio est à l’origine un outil à l’usage des artistes et des travailleurs indépendants, dont la spécificité du travail les oblige à aller chercher le client. Il s’inscrit dès le début dans un besoin de démonstration et de communication afin de faire reconnaître des savoir-faire. Le portfolio constitue alors une sorte de carte de visite illustrée ou de vitrine, en fait un produit conçu en vue d’une reconnaissance, par la mise à disposition d’une collection d’œuvres ou de créations propre à refléter un talent. De ce fait, peu à peu, ce portfolio s’étoffe au point de permettre de redéfinir le parcours d’une pensée créative à partir des traces laissées par le travail, il constitue alors un produit que l’on peut chercher à optimiser aussi bien dans ses modalités de mise en œuvre que dans sa présentation, son design, son ergonomie et même sa diffusion.
Il faudra attendre les années 1980, pour que reprenant en partie cette logique, le portfolio parvienne dans le domaine de l’éducation, d’abord dans les pays anglo-saxons, puis en Europe, dans les années 1990, un outil « de consignation de données » (Bélair & Van Nieuwenhoven, 2010, p.161) ; comme si l’enregistrement permis des traces des apprentissages ouvrait de nouvelles voies à la pédagogie, à tout le moins à l’apprentissage. De cette façon, la multiplicité des objectifs attribués au portfolio concourt souvent à rendre opaque, pour celui qui est appelé à l’utiliser, le dispositif lui-même qui relève de la mise en œuvre d’un processus et pas uniquement d’un produit à concevoir.
En définitive, quelle définition du portfolio, et en faut-il une?
Béatrice Savarieau : Les multiples nominations du portfolio soulignent les processus en jeu, « portfolio de présentation, d’évaluation, d’apprentissage, de certification, de mobilité, de réflexivité, d’employabilité, de langues ; portefeuille d’expérience et de compétences» qui interrogent une certaine approximation dans leur utilisation, surtout lorsque le portfolio vise de multiples objectifs. « Ce « fourre-tout » conceptuel imputable à la construction quasi-constante de différents outils de consignation occasionnant, certes, une grande diversité provoque un éclatement dans les consignes à respecter pour utiliser adéquatement un outil donné » (Bélair & Van Nieuwenhoven, 2010, p.163). C’est pourquoi, s’il fallait retenir une définition, nous retiendrions celle-ci : « Un dossier personnel comprenant des éléments auto-biographiques de formation, d’expérience et de compétence » (J. Aubret).
Quelles sont les principales caractéristiques du portfolio ?
Marielle Boissart : Trois caractéristiquespeuvent être assignées au portfolio (M.-F. Carnus et C. Van Nieuwenhoven, 2014) : la sélection d’une collection structurée de pièces « authentiques », la réflexivité et l’implication de l’auteur.Ces caractéristiques s’avèrent prédominantes dans le dispositif pédagogique puisqu’il est demandé à l’étudiant d’alimenter son portfolio avec les documents de son choix au fil de stages et au gré de ses expériences. Le portfolio est considéré comme un outil appartenant à l’étudiant et son implication est inéluctable dans la mesure où il lui revient d’analyser ses pratiques professionnelles et d’en formaliser deux par stage dans le portfolio.
Béatrice Savarieau : Nous retenons que le portfolio est le plus souvent conçu en éducation comme un outil d’auto-questionnement, servant de support au développement d’une pratique réfléchie, d’une articulation théorie-pratique ou encore d’une conscientisation de l’expérience vécue (Runtz-Christan & Rouiller, 2006). Cette polyvalence des usages possibles du portfolio explique sans doute son succès, mais ne sont-ils par ailleurs à associer avec la montée en puissance des exigences de professionnalisation et l’émergence de la notion de compétence, aussi bien dans la sphère professionnelle que dans celle de l’éducation ? Ainsi, la compétence s’est peu à peu substituée à la notion de qualification dans le monde du travail et à celle de savoirs dans les pratiques éducatives. Se pose alors la difficulté de l’appréhension et des modalités de reconnaissance des compétences en application dans le domaine professionnel et dans celui de l’éducation et de la formation. Nous noterons l’articulation étroite de la compétence et de l’activité. Les dispositifs portfolios se voient donc attribuer de nombreuses caractéristiques qui relèvent bien souvent de l’expérimentation (Beaupère et al, 2015), et qui cherchent à montrer la compétence. Dans les faits, deux processus qui rendent indispensable un accompagnement de la démarche mis en œuvre.
Quels est la place et quel l’intérêt du portfolio en formation des adultes ?
Marielle Boissart : L’approche réflexivevisée grâce au portfolio suppose une analyse après l’action par l’étudiant formalisée par écrit :
d’expériences vécues dans des contextes différents : en formation infirmière, c’est ce qui correspond au récit d’analyses des pratiques (deux par stage sur un parcours minimum de sept stages durant la formation) ;
l’analyse faite de ces expériences par rapport à l’identification des savoirs et compétences qui pouvaient être développés, l’identification de ceux qui ont réellement été développés, des liens entre les apprentissages et les compétences ciblées ;
l’analyse faite de ces expériences par rapport à l’identification des besoins d’apprentissage compte tenu des savoirs et compétences non développés ;
la planification des stratégies d’apprentissage à mettre en place et des ressources à solliciter pour développer les savoirs et compétences identifiés comme manquants.
L’écriture de ces analyses de pratique sur le portfolio revêt un caractère réflexif dans le sens où il est demandé à l’étudiant de se questionner sur ses pratiques. Il s’agit d’assurer un regard interprétatif et critique afin de se distancier pour entrer dans une pratique intellectuelle. Cette dernière réclame une écriture explicite qui permet la construction de la pensée. Pour autant, L. Vygotski insiste en exprimant que le langage modifie la pensée mais aussi que la pensée modifie le langage. Comment s’élabore alors cette réflexivité ? Principalement basée sur le paradigme compréhensif des pratiques en lien avec l’agir de l’auteur, la réflexivité est considérée comme : « Une suite d’opérations relatives à une pratique intellectuelle. Elle est aussi souvent une pratique langagière, dialogique et sociale [4] ».
Quelles sont les principales conditions de mise en œuvre du portfolio en formation des adultes ?
Le portfolio dont la traçabilité écrite se veut constructrice, n’empêche pas les échanges qui doivent s’opérer avec les professionnels. Le but est de susciter des interactions porteuses de structuration professionnelle pour l’étudiant par la confrontation de ses représentations aux situations rencontrées qu’elle engendre. Une collaboration étroite entre les différents terrains d’une formation s’avère incontournable.
En effet, les analyses de pratiques convoquent les fonctions de distanciation, intégration et transformation seulement si elles sont comprises et valorisées par les acteurs l’utilisant ; dans ce cas et dans le cadre d’un partenariat de réciprocité entre les terrains de stages et les cadres de santé formateurs, le portfolio devient vecteur d’une socialisation professionnelle co-construite pour chaque acteur dont la culture réflexive demeure le pilier fondateur.
Pouvez vous donner un exemple de l’usage du portfolio dans vos domaines ?
Marielle Boissart: Le portfolio est utilisé par le cadre de santé formateur avec l’étudiant lors des entretiens de suivis pédagogiques dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers, afin de faire un bilan de ses acquisitions en stages et faire évoluer son parcours de stage si besoin dans le but de répondre aux exigence réglementaires, aux besoins d’apprentissages et au projet professionnel de l’étudiant.
Il est utilisé par le tuteur de stage pour situer l’étudiant dans ses besoins d’apprentissage, en début de stage
Béatrice Savarieau : A l’université, le portfolio permet de se distancier de son terrain de stage en le regardant dans une forme de distanciation. Il permet également à l’enseignant d’accompagner l’étudiant dans sa dimension réflexive, pour que l’expérience du stage devienne une expérience vécue. Penser l’expérience vécue permet de se mettre en mouvement, que ce soit par rapport au parcours déjà réalisé que celui à venir. Par ailleurs, il peut également être une vitrine des acquis personnels et professionnels, et en cela faciliter d’éventuels recrutements ou poursuite d’études. En formation des adultes, le e-portfolio permet également des échanges entre pairs ou avec des personnes que l’on peut inviter à en commenter le contenu.
Quels liens ou quelle place le portfolio peut-il avoir en conseil ou en orientation ?
Pour la formation infirmière, le portfolio peut aider l’étudiant pour son orientation, notamment dans la construction de son projet de formation et son projet professionnel dans la mesure où il a à développer une connaissance de lui-même, une réflexion sur ses aspirations professionnelles. Il favorise l’auto-évaluation et la prise de recul.
Il lui permet de prendre conscience de ses talents et de ses points de fragilité qui lui restent à travailler.
Pour le stage des étudiants, travailler sur le portfolio c’est construire des liens entre des éléments de sa vie que l’on ne verrait pas autrement. C’est apprendre à se connaître soi-même dans cette approche réflexive, mettant « le sujet hors de soi » comme l’affirme Sabine Vanhulle. Par ailleurs, l’accompagnement du stagiaire peut se retrouver facilité, permettant la mise en relation entre l’école ou l’université et le monde de l’entreprise. Pourquoi ne pas partager son portfolio à la fois à son tuteur de stage et au formateur, qui seront ainsi appelés à davantage dialoguer ? Ce regard croisé porté sur les événements, les situations, ou les réflexions, peut ainsi enrichir une situation d’apprentissage.
Je vous remercie de cet échange. Je souhaite une bonne lecture et réflexion aux « plateformers » EPALE.
N’hésitez pas à réagir, compléter ou donner vos propres exemples de portfolio.
[1]Commission scolaire des Premières-Seigneuries (Québec). Le portfolio. Récupéré le 14 Octobre 2010 de ‹ http://recit.csdps.qc.ca/portfolio/avant.htm›.
[2]Ministère de l’éducation du Québec (M.E.Q.). (Mai 2002). Portfolio sur support numérique.Direction des ressources didactiques. Récupéré le 07 Décembre 2011 de ‹ http://www.mels.gouv.qc.ca/drd/tic/pdf/portfolio.pdf›.
[3]Ibid. Ministère de l’éducation du Québec (M.E.Q.). (Mai 2002).
[4]Perrenoud, P. Adosser la pratique réflexive aux sciences sociales, condition de la professionnalisation. Éducation Permanente, n° 160, (2004), p. 36.
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