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Le master Cultures et Patrimoines de l’alimentation : la rencontre de l’interdisciplinarité et de l’interculturalité

Entretien 17 Isabelle Hannequart, responsable du master « Cultures et Patrimoines de l’alimentation » à l'Université de Tours

Entretien avec madame Isabelle Hannequart, maître de conférences HDR en droit public à l’UFR Droit, Economie et Sciences sociales de l’Université de Tours et responsable du master « Cultures et Patrimoines de l’alimentation » au CESR/Centre d’études supérieures de la Renaissance, autre UFR de l’Université de Tours ne délivrant que des masters, en patrimoine culturel.

La question de l’interculturel, de l’interculturalité et des compétences interculturelles est de plus en plus présente. De par votre parcours, vos travaux ou les  projets menés, j’aimerais en savoir plus et faire partager votre expérience sur ces dimensions interculturelles.

Ces thèmes sont importants pour les professionnels et acteurs de l’éducation et de la formation qui se retrouvent sur la plateforme EPALE.

Thierry Ardouin : Pour démarrer, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous-même, votre parcours ?

Je suis issue d’un parcours juridique tourné vers le droit européen, le droit international et le droit comparé, et rattachée à l’UFR de Droit. Ancienne vice-présidente de l’Université de Tours chargée des relations internationales, j’ai développé les relations avec l’Université de Salvador de Bahia au Brésil non seulement en droit mais aussi en sciences de l’éducation par lesquelles j’ai découvert l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité. Engagée en même temps dans le mouvement des Citoyens du Monde, j’ai orienté mes recherches vers la mondialisation et l’articulation de ce phénomène avec les cultures juridiques nationales et les patrimoines culturels nationaux. Ayant organisé un colloque franco-brésilien sur la patrimonialisation juridique de l’alimentation de la graine à l’assiette, avec des collègues d’autres disciplines, j’ai commencé à donner quelques cours de droit dans le master Cultures et Patrimoines de l’alimentation  (CPA) et en suis devenue rapidement responsable.

Thierry Ardouin : Pouvez-vous nous dire comment vous avez rencontré l’interculturalité lors de votre trajectoire personnelle, académique ou professionnelle ?

Ayant toujours situé ma recherche dans la dimension internationale, j’ai pu mesurer les différences d’approche culturelle des mêmes concepts juridiques et les déclinaisons nationales des mêmes droits internationaux. L’expression la plus fortement ressentie de l’interculturalité a été vécue lors d’un voyage en République Démocratique du Congo en avril 2023 lorsque, faisant travailler les étudiants congolais sur une déclinaison congolaise de la déclaration universelle du droit à l’alimentation dont je suis l’auteur, je réalisai à quel point les coutumes locales au Bas-Congo (différentes de celles d’autres régions de RDC) pouvaient interférer avec les droits internationaux au point même de les remettre en cause. Ainsi une grand-mère qui vit très âgée est une sorcière et il n’est pas question de la nourrir ; de même un enfant chétif à la naissance qui survit malgré tout a des pouvoirs surnaturels et se retrouvera dans la rue sans nourriture. L’échange interculturel avec les étudiants a été pour eux la prise de conscience de la richesse de leur patrimoine alimentaire et pour moi celle de la grande relativité des droits communs mis en contexte.

Thierry Ardouin : Vous êtes responsable du master Cultures et Patrimoines de l’Alimentation (CPA), pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’origine, les objectifs ou orientations et actions ? D’où viennent les étudiants ? En quoi ce projet participe du développement de l’interculturalité et/ou des compétences interculturelles ?

Le master CPA repose sur trois piliers : les humanités numériques, l’approche interdisciplinaire de l’alimentation et l’ingénierie de projet (l’alimentation en action). C’est une formation à la recherche par la recherche et aussi une ouverture au monde professionnel. Les étudiants viennent de formations diverses, d’une licence en SHS (histoire, sociologie, aménagement, philosophie…même la musicologie) ou de parcours professionnels dans le secteur de l’alimentation (une pâtissière, une directrice de maison de la nutrition, par exemple) ; ils veulent approfondir leur connaissance de l’alimentation et se frotter à l’écriture scientifique, tout en se projetant sur différents métiers autour de l’alimentation (journalisme gastronomique, chargé de projet dans un musée, commerce de bouche, recherche en histoire de l’alimentation…) ou bien en ajoutant à leur pratique professionnelle une nouvelle culture de l’alimentation. Cette culture est issue des échanges tout au long de la formation avec des étudiants du master venant de pays étrangers et de différents continents, Gabon, Algérie, Mexique, Brésil, Mongolie… et des enseignements, que ce soit en anthropologie, notamment sur les rituels et interdits alimentaires, ou en sociologie et droit sur la construction et la défense des normes nationales.

Thierry Ardouin : L’alimentation a une dimension éminemment située et culturelle, comment l’abordez vous dans ce master ? Comment cela interroge-t-il la dimension universelle et interculturelle ?

Le master consacre une partie importante à l’histoire de l’alimentation, qui nous enseigne les origines méconnues de notre alimentation quotidienne et nous plonge dans des sources scientifiques inexplorées, indispensables pour mesurer la relativité des cultures alimentaires dans le temps et dans l’espace. Les autres disciplines abordent toutes à leur façon la patrimonialisation culturelle de l’alimentation, sans oublier que le patrimoine, spécialement dans l’alimentation, est également matrimoine… l’interculturel est aussi une question de genre !

Le projet collectif mené pendant les deux années de master par chaque promotion relève d’une pédagogie qui fait appel à l’autonomie et à la créativité des étudiants, dans lesquelles se manifestent leurs profils diversifiés, leurs expériences originales, leurs cultures propres, et qui leur permet acquérir des compétences interculturelles très utiles à leurs projets professionnels individuels.

Thierry Ardouin : Quelle idée majeure retiendriez-vous pour les étudiants ou les générations futures ?

L’alimentation est par excellence un objet transdisciplinaire encore plus qu’interdisciplinaire, car il nous faut croiser les disciplines pour comprendre le sens et les enjeux de l’alimentation et aller au-delà pour saisir la spiritualité de l’acte de manger, et un sujet au cœur de l’interculturalité, car si nous sommes tous ce que nous mangeons nous ne sommes jamais tout-à-fait les mêmes et n’avons aucun intérêt gustatif à devenir les mêmes !

Je vous remercie pour cet échange et votre apport.

Thierry Ardouin

 

Retrouvez la série d'entretiens par Thierry Ardouin sur EPALE. Cette série porte un regard croisé sur l’interculturalité et des compétences interculturelles. Cette série s’enrichira des rencontres mais aussi de vos questions, remarques, commentaires, et de vos récits d’expériences.

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