Intégration des compétences interculturelles dans les projets éducatifs (MICEP)

Intégration des compétences interculturelles dans les projets éducatifs (MICEP)
Bonjour Monsieur Jérome Mbiatong, vous êtes Maitre de conférences à l’université de Paris Est Créteil (UPEC), vous travaillez notamment sur l’interculturalité et vous avez monté à un projet européen Erasmus + « Intégration des compétences interculturelles dans les projets éducatifs (MICEP) »
Aujourd’hui nous sommes intéressé pour échanger avec vous sur la question de l’interculturalité que vous travaillez mais aussi que vous vivez directement compte tenu de votre trajectoire, du projet MICEP et vos réseaux internationaux.

Pour démarrer, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous même, et nous dire comment vous avez rencontré l’interculturalité lors de votre trajectoire personnelle et/ou professionnelle ? Et comment vous l’avez vécu ?
Je suis enseignant chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paris Est Créteil. L’interculturalité devient une préoccupation pour moi dans les années 2000, lorsque je pars du Cameroun pour poursuivre mes études en Europe. Le fait de changer de lieu de vie et de devoir m’acculturer à un nouvel espace avec d’autres codes et référents m’a déstabilisé. Les repères n’étaient plus les mêmes et il me fallait comprendre les nouveaux référents et recoder les miens en fonction. Ce fut une époque très éprouvante dans la mesure où j’étais habité par des sentiments ambigus : le sentiment d’être en permanence en décalage, la crainte de ne pas être compris, un profond désir d’acculturation tout en ayant la préoccupation de n’avoir pas perdu mes racines (trahison) aux yeux de ma famille. Je me souviens avoir eu recours au sport et au yoga pour dissiper la vive tension qui m’habitait à ce moment-là. Ce n’est que vers 2008 que j’ai eu le sentiment d’avoir traversé cette zone de turbulence. La télévision, la radio, les lectures et surtout les relations amicales et intimes m’ont petit à petit à petit aidé à accueillir et de cheminer avec cette tension. Elle n’a pas disparue mais je ne la ressens plus avec le même désarroi. Elle n’a pas disparue car, en permanence reste la préoccupation pour la compréhension des codes et pour la capacité de traduction appropriée des situations rencontrées.
Avec le recul, il me semble que les années 2000 étaient dans mon parcours un climat interculturel et il difficile de situer l’origine de ma rencontre avec l’interculturel avec un moment précis du parcours. En effet, je viens d’une famille très hétéroclite où la différence a assez souvent thématisé les rapports. J’ai baigné dans cette atmosphère sans me rendre compte des tentatives d’ajustement, volontaires ou imposés. J’ai le sentiment que les épreuves interculturelles ont parsemé mon parcours personnel, parfois elles se sont bien soldées, parfois elles ont été ratées.
Sur le plan académique (parcours de formation), l’entrée à l’université marque une étape importante car je change d’univers linguistique en passant d’un système d’éducation et de formation totalement Francophone à un système Anglo-saxon. Toutefois, de manière explicite, c’est au cours de mes études de maîtrise en sciences de l’éducation (2004) que l’interculturel devient un sujet d’attention puisqu’il sera l’objet d’un cours d’éducation comparée au cours duquel la thématique de l’interculturelle est abordée dans le cadre des rencontres franco-allemandes. Plus tard en 2007, je suis sollicité par ma directrice de thèse pour participer directement à une recherche de l’Office Franco-Allemand de la Jeunesse (OFAJ) dont la thématique était : « Comment apprendre la citoyenneté européenne ? Avec la pluralité des langues et des cultures ». Cette recherche sera l’occasion d’une expérience interculturelle et aussi le moment d’apprivoisement du sujet. Depuis lors l’interculturalité est devenue une de mes thématiques d’étude.
C’est ainsi qu’elle s’est faite une place dans ma trajectoire professionnelle. Dans le cadre de mes activités j’ai été amené à effectuer des mobilités académiques en Haïti, en Martinique, en Guadeloupe et en Colombie pour effectuer des cours sur cette thématique. J’ai également eu à coordonner de 2017 à 2020 le projet Erasmus+ Micep portant sur le développement des compétences interculturelles des étudiants et professionnels de l’éducation, de la formation, des intervenants sociaux et assimilés.
Vous participez au projet MICEP, portant sur le développement des compétences interculturelles des étudiants et professionnels de l’éducation, de la formation, des intervenants sociaux et assimilés, pouvez vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?
Le projet MICEP prend sa source dans quelques constats :
- L’Europe invite au développement des compétences interculturelles dans l’optique d’une société inclusive, innovante et réflexive.
- Or on peut constater un fossé entre cet objectif et l’offre de formation (notamment des futurs acteurs à l’université). Bien que de plus en plus présente dans les cursus de formation universitaires, l’interculturel reste un objet très théorique auquel on consacre quelques heures de cours sans que les enseignements ne permettent vraiment aux étudiants de développer de réelles capacités et volontés d’agir en situation interculturelle. C’est pourquoi le projet s’est fixé pour objectif général de réduire cet écart en développant des produits et outils pour faciliter le développement des compétences interculturelles chez les étudiants et les professionnels de l’éducation, de la formation et de l’intervention sociale, le partage et le transfert des pratiques et approches innovantes permettant la prise en compte la diversité lors du développement et la mise en œuvre de projets éducatifs, des projets de formation, des projets socio-culturels et socio-éducatifs.
Lors d’un échange avec la co-directrice d’Elan Interculturel Vera Varhegyi en 2015 l’idée nous vient de participer à l’appel à projet du programme Erasmus + Action Clé 2 pour l’innovation pédagogique et l’échange de bonnes pratiques.
Comment avez vous trouvé et rencontré les partenaires et constitué le partenariat ?
Le partenariat s'est formé principalement sur la base d'objectifs communs et d'une expertise complémentaire. Toutes les organisations impliquées ont exprimé leur intérêt pour le développement des compétences interculturelles. L'engagement du personnel de ces organisations dans des conférences internationales interculturelles et dans la coopération bilatérale (visites d'étude) a permis de faire une estimation des ressources existantes dans chaque organisation et de préparer le terrain pour un travail collaboratif.
Un autre critère de choix des partenaires était de réunir des partenaires représentatifs de contextes européens variés (culturels, sociaux, linguistiques, économiques, etc.).
Le projet était intersectoriel puisqu'il a impliqué des universités, des ONG et des organismes de formation.
Les membres du projet étaient l’Université Paris Est Creteil, L’association Elan interculturel, L’Université Eotvos Lorand de Budapest, la fondation Artemisszio et le Mary lmmaculate College de Limerick.
Quel est l’objectif principal ? et les productions réalisées sur les compétences interculturelles ?
L’objectif principal du projet a été de produire et mettre en synergie un certain nombre d’outils pour sensibiliser à la thématique de l’interculturel et favoriser le développement effectif de compétences interculturelles par les étudiants en sciences humaines et sociales (SHS) et les professionnels des domaines professionnels relevant des sciences de l’éducation et de l’intervention sociale.
Les objectifs opérationnels ont été :
- Traduire les connaissances théoriques en compétences opérationnelles directement applicables sur le terrain par les étudiants et les professionnels de l’éducation, de la formation et de l’intervention sociale;
- Valoriser des innovations pédagogiques dans le domaine de l’interculturalité et l’inclusivité;
- Prendre en compte des aspects interculturels et de la diversité dans la planification, la mise en œuvre et l’évaluation des projets éducatifs et d’intervention sociale;
- Développer des outils d’apprentissage basés sur les TIC qui améliorent le partage et le développement collaboratif des pratiques dans les projets éducatifs.
Les productions réalisées sont :
- Un module de formation théorique fondamental sur la thématique de l’interculturalité
- Un recueil des innovations pédagogiques et de bonnes pratiques en matière d’interculturalité avec études de cas
- Une banque d’idées transnationale adaptée pour faire germer des projets innovants d’éducation, de formation ou d’intervention sociale (ce produit a moins bien fonctionné)
- Une plateforme en ligne offrant des ressources pour l’intégration de la dimension interculturelle dans différentes phases d’un projet
- Un guide en ligne pour la création des partenariats ONG-Universités et l’accueil des étudiants en stage, utilisant l’approcha de la pédagogie par projet (PBL - project based learning).
Comment alors vous définissez et caractériser les compétences interculturelles ?
Les compétences interculturelles désignent selon moi un ensemble d’aptitude qui permettent d’entrer en relation avec « autrui », de le comprendre et se faire comprendre par lui, d’agir et de penser avec lui dans une double visée de bienséance (vivre bien ensemble) et de coopération (produire des choses ensemble).
Qu’est ce que ce projet international et interculturel vous a-t-il apporté ?
Travailler avec une équipe intersectorielle et internationale a été très stimulant et enrichissant. Le projet a été source de nombreux apprentissages interculturels. Notamment la communication électronique et en face à face dans une langue autre que nos langues maternelles. Ma capacité à vraiment être à l’écoute du point de vue de l’autre, de prendre en compte ses préoccupation et contraintes a été mise à l’épreuve et s’est développée. J’ai aussi appris la négociation par exemple pour ce qui concerne les échéances, les modalités de travail et le dimensionnement des charges de travail, les délais des versements, etc.
Cette expérience m’a aussi apporté des aptitudes en gestion de projet.
Ce projet a également eu des effets sur les contenus de mes cours sur l’interculturel et également sur ma façon d’animer mes cours. Je suis plus attentif à l’articulation apport transmissif et configuration de cours qui permettent à l’étudiant de dépasser la théorie pour expérimenter les objets d’intervention.
Que retenez vous de cette expérience ? Quels conseils donnerez vous à ceux qui se lancent dans l’aventure ?
Le projet MICEP a consolidé la collaboration avec des collègues enseignants et personnels administratifs au sein du département de Sciences de l’éducation et de sciences sociales. Dans un partenariat stratégique Erasmus+, il y a l’objectif de partager et transférer des savoir-faire. S’engager dans ce type de projet est une façon de perfectionner nos pratiques tout en les comparant à celles d’autres collègues dans d’autres pays et d’autres secteurs d’intervention. Les échanges avec les partenaires ont été une source d’inspiration pour faire émerger des pratiques innovantes et pour faire évoluer les miennes.
Le projet a également présenté quelques défis. Le principal défi était lié à la nature transversale et transnationale de ce type de projet. Il a impliqué plusieurs services et interlocuteurs avec des modes opératoires, des contextes et cultures professionnelles différents. Cela a parfois été source d’incompréhensions et d’inquiétudes que nous avons appris à dissiper, dépasser.
La stabilité des personnels impliqués dans le projet est aussi très importante pour son bon déroulement. C’est une donnée difficile à maîtriser et un turn-over même de faible ampleur est de nature à ralentir le processus. D’où l’intérêt de documenter le processus projet ainsi que les avancées pour conserver l’historique.
Par ailleurs il me semble que les projets Erasmus+ sont encore souvent perçus comme lourds à gérer et avec des règles budgétaires contraignantes, mais c’est une idée préconçue. Le cadre est plus souple qu’on ne l’imagine. Les supports d’accompagnement sont excellement didactisés. L'important c’est une gestion rigoureuse du projet. Le cadre Erasmus+ engage l’université, il implique de se mettre en mode projet et d’aller au bout de ses ambitions. C’est la possibilité de travailler avec des collègues à l’étranger sur un même sujet, de solliciter une expertise dans un domaine que nous ne maîtrisons pas ou que partiellement. Être au clair sur le contenu ne suffit pas, il est nécessaire de s’investir dans la préparation du projet très en amont : faire une analyse des besoins, prendre le temps de comprendre le fonctionnement, informer sur le projet en interne, le planifier…
Enfin, la langue est un point de vigilance. Avoir l’anglais comme langue de travail commune reste malheureusement encore un facteur limitant pour beaucoup de personnes qui voudraient se lancer. Ce n’est effectivement pas négligeable et il faut cependant se dire que le projet est en soi un espace d’apprentissage en communication pour les participants et j’ai pu observer que l’essentiel est de se comprendre et non d’afficher un anglais parfait. D’ailleurs, la plupart des consortiums sont plurilingues.
Je vous remercie pour cet échange et votre apport.
Thierry Ardouin
Références
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Dervin, F. (2012). Impostures interculturelles. Paris : L’Harmattan.
Dervin, F. (2017). Compétences interculturelles, Paris : Éditions des archives contemporaines.
Dussel, E. (2012) Transmodernity and Interculturality: An Interpretation from the Perspective of Philosophy of Liberation, Transmodernity, 1(3), pp 28-59.
Mignolo, W. (2002) The Geo-politics of Knowledge and the Colonial Difference, The South Atlantic Quarterly, 101(1), pp. 57-96.
Mucchielli, R. (2013). La dynamique des groupes. Paris. ESF
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