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FOCUS WEEK : Les tiers-lieux, laboratoires territoriaux

Comment construire ensemble un avenir durable ? Les tiers-lieux deviennent des laboratoires de premier ordre pour accompagner le changement...

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Marco Cecchinato

il semble y avoir un consensus : il n'y a pas de consensus sur la définition d'un tiers-lieu.

Cependant, le nombre de projets se reconnaissant sous ce terme se multiplie, et nombre d'entre eux affichent des ambitions de renforcement de la résilience des territoires dans lesquels ils s'inscrivent. Dans cette analyse, nous proposons d'explorer comment les tiers-lieux peuvent être des laboratoires pour construire le monde de demain. En éclairant ce phénomène protéiforme, nous identifions les caractéristiques qui constituent des leviers pour répondre aux nombreux défis auxquels nous sommes confrontés. 

Des cœurs d'engagement sont également proposés afin de situer et développer ces projets comme vecteurs de résilience.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Trois-Tiers. Cette organisation a pour mission 

  • d'animer des formations pour sensibiliser et renforcer les compétences des collectifs/équipes, 
  • de mettre en relation des porteurs de projets et des accompagnateurs professionnels au sein d'une communauté d'apprentissage, 
  • de travailler sur un plaidoyer pour la reconnaissance et le soutien des tiers-lieux par l'ensemble des acteurs de leurs écosystèmes (administrations et institutions, acteurs du système alimentaire/culturel/immobilier, citoyens, etc.)

Ces dernières années, il semble y avoir eu une prolifération d'espaces et de projets collectifs connus sous le nom de « tiers-lieux », ce qui nous incite à les examiner de plus près et à nous interroger sur leur contribution potentielle à l'invention de modes de vie respectueux des êtres vivants.

Le terme « tiers-lieux » est de plus en plus présent dans le paysage de la Fédération Wallonie-Bruxelles, comme en témoigne le récent appel à projets lancé en 2022 par l'ancienne ministre wallonne de l'environnement Céline Tellier et le financement subséquent de 23 projets dans des zones rurales. 

Dans cet article de blog EPALE, vous pouvez écouter une interview de la ministre à propos de ce projet. 

Ce projet a été mis en évidence lors d'une journée d'échange entre les fondateurs de projets qui s'identifient au terme « tiers-lieux ». Le terme de laboratoire a également été utilisé à plusieurs reprises au cours de la journée, en lien avec la volonté des projets de répondre à des besoins non satisfaits, d'offrir des services qui n'existent pas ou qui ont disparu, de débloquer l'imagination sur les futurs possibles, etc. (avec la contrepartie de sortir des cases - notamment administratives - ce qui engendre de nombreuses difficultés, comme nous y reviendrons). 

Il nous a donc semblé important de regarder de plus près comment ces projets pouvaient servir de laboratoires pour construire le monde durable de demain. 

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Tiers-lieux ? 

Les origines du concept

Le concept trouve son origine dans « The great good place », un ouvrage publié à la fin des années 1980 par le sociologue urbain américain Ray Oldenburg, qui utilise le terme de « tiers-lieu » pour désigner les espaces situés à l'interface entre le domicile (premier lieu) et le travail (deuxième lieu). Ces lieux intermédiaires, ou « tiers-lieux », tels que les cafés ou les bureaux de poste, permettent aux gens de se rencontrer de manière informelle et favorisent l'interaction, l'échange, l'entraide et le débat. Pour Oldenburg, ce sont des lieux essentiels pour la démocratie et l'engagement civique. 

Des racines multiples 

Au-delà des origines « officielles » qui leur ont donné leur nom, les tiers-lieux d'aujourd'hui sont considérés comme partageant leurs racines avec un certain nombre de mouvements historiques très divers, tels que la philosophie hacker et opensource, les communs, les mouvements mutualistes et d'éducation populaire, l'économie sociale et solidaire, les utopies libertaires, les squats et les friches culturelles, l'architecture collaborative et l'urbanisme transitoire, la culture start-up des années 90, les écovillages, le mouvement permaculturel, etc. Les tiers-lieux d'aujourd'hui ont hérité de certains codes culturels, d'outils et de modes opératoires qui sont utilisés dans la plupart des projets. Les marqueurs de ces origines multiples s'expriment plus ou moins selon l'orientation du projet et la « culture » de ses promoteurs.

Raphaël Besson propose de distinguer les tiers-lieux en fonction de leur vocation :

  • les tiers-lieux d'activité (espaces de travail partagés, communautés d'échange et de collaboration, etc.)
  • les tiers-lieux d'innovation (fablabs, living labs, etc.)
  • les tiers-lieux culturels (bibliothèques tiers-lieux, friches culturelles, living labs, fablabs ou learning labs déployés au sein des universités, etc.)
  • les tiers-lieux sociaux (projets visant la participation citoyenne, l'entrepreneuriat social ou la transition démocratique. Ils sont fortement structurés autour des acteurs de l'économie collaborative, de l'économie numérique et de l'économie sociale et solidaire (ESS). 
  • les tiers-lieux de services et d'innovation publique (conciergeries sociales, boutiques multiservices, laboratoires d'innovation publique, etc.)

Partant du principe que les tiers-lieux ont par définition une multiplicité de finalités et de fonctions, Trois-Tiers propose non pas des catégories figées de tiers-lieux, mais desfacteurs de variabilité, sachant que toutes les combinaisons sont possibles, rendant le nombre de « types de tiers-lieux » potentiellement très important : 

  1. Qui est à l'origine du projet ? S'agit-il d'une initiative individuelle ou collective (et si collective : citoyenne, associative, institutionnelle, hybride) ?
  2. Quelles sont les racines du projet? Universitaires, socioculturelles et artistiques, entrepreneuriales, nourricières, agricoles, sociales, éducatives, sanitaires, démocratiques, écologiques et de résilience ?
  3. Où se situera le tiers-lieu ? Urbain, périurbain, rural, virtuel ?
  4. Quelle est la temporalité associée au projet ? Temporaire, transitoire, permanent ?

Et n'oubliez pas qu'au-delà de ces facteurs de variabilité, il n'y a pas de limites aux formules, si ce n'est les rêves partagés par les humains à l'origine de ces initiatives. 

Les tiers-lieux en Wallonie

En Wallonie, les tiers-lieux émergent dans un contexte de crises multiples que la région, comme le reste de la planète, traverse (environnement, finance, santé, économie, social, énergie, culture, etc.) Sous l'impulsion d'enjeux divers, des citoyens et des associations se mobilisent et se rassemblent dans des espaces qui sont la trame et le théâtre de nouveaux modes de faire société. Valorisation des richesses patrimoniales et environnementales, sécurité alimentaire, mobilité, relocalisation du travail, logement, cohésion sociale ou encore réponse à des problématiques locales telles que la pénurie de certains services ou le manque d'espaces de coworking... Selon les espaces qu'ils développent, les tiers-lieux portent en germe des « solutions locales pour un désordre global », pour reprendre l'expression chère à Coline Serreau. 

C'est ainsi que l'on voit émerger un ancien théâtre qui devient aussi coopérative citoyenne et cantine/bar public, une ferme qui se collectivise et développe un programme socioculturel, un hameau qui se revitalise avec des espaces d'ateliers et un campus/centre d'hébergement, un couvent tenu par un nombre décroissant de religieuses qui vivent aux côtés d'un groupe de laïcs d'une vingtaine de personnes et visent à transmettre leur savoir-faire artisanal, un lieu de mémoire avec cimetière et anciens fours à chaux qui devient un lieu de transmission et d'arts, un centre médical entouré de maraîchers, quelques habitations et un espace communal ouvert au grand public.

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Des espaces communautaires locaux pour une transition systémique

S'ils ne doivent pas être considérés comme des solutions parfaites « tout en un », au risque de surcharger le système et de déplacer les responsabilités publiques à leur détriment, les tiers-lieux, de par leur culture et/ou leur mode de fonctionnement spécifiques, peuvent contribuer à répondre à un certain nombre d'enjeux actuels et futurs, notamment en lien avec les défis de la transition systémique de nos territoires.

Dans une intervention au forum Tiers-Lieux pour l'Europe (Montpellier, 2023), l'économiste belge Sybille Mertens (ULiège) a résumé la difficulté d'agir collectivement face aux crises qui secouent notre quotidien : 

Les défis auxquels nos civilisations sont confrontées aujourd'hui (bouleversements climatiques, perte de biodiversité, exclusion sociale, crises migratoires, etc. Ils sont nécessaires, mais pas évidents : après des décennies de développement de la logique marchande et des solutions individualistes qui lui sont associées, chacun d'entre nous a le sentiment que ces problèmes le dépassent et que la solution viendra d'ailleurs. Les institutions publiques, équipées pour faire face à ces défis, sont confrontées à des problèmes systémiques qui dépassent souvent leur périmètre d'action. Dans une société de plus en plus dualiste et fragmentée, elles ont également de plus en plus de mal à construire des consensus et à mettre en œuvre des solutions véritablement collectives. 

Vous pouvez également trouver des informations sur ce forum dans cet article de blog d'Epale.

Face à ces défis, Sybille Mertens place les tiers lieux dans la lignée de la gouvernance des communs prônée par Elinor Oström : les tiers lieux sont des espaces collectifs locaux organisés selon des procédures démocratiques, qui permettent à une communauté locale de s'activer et de mobiliser des ressources locales. Et ce, avec un capital de confiance et un pouvoir d'agir à l'échelle locale. Ces lieux sont aussi des lieux d'apprentissage, d'émancipation, de créativité et de capitalisation collective, où se développent des innovations sociales et techniques, apportant des solutions potentiellement appropriées aux crises à venir. Ce sont donc des lieux où l'on peut trouver des « niches » dans des secteurs très variés, où l'on peut expérimenter toutes sortes de choses (et surtout relier les expérimentations entre elles) en marge des systèmes dominants qui s'essoufflent. 

Enfin, les tiers lieux peuvent accepter une dimension de long terme, loin de l'urgence du marché et du court-termisme électoral. 

Ils peuvent donc être les catalyseurs d'une action collective durable et cohérente à l'échelle locale et régionale. En fonction des services et des fonctions qu'il développe et des spécificités du territoire sur lequel il s'implante, un tiers-lieu peut activer et tester des réponses à des problématiques variées et complémentaires : 

  • Enjeux économiques : nouveaux modes de travail, développement de l'esprit d'entreprise, relocalisation de la production et des services, innovation, mutualisation et mise en réseau, etc.
  • Enjeux sociaux : création de nouveaux espaces de convivialité non marchands, rupture de l'isolement, mixité, décloisonnement et activation de la cohésion sociale, réduction de la fracture numérique, soutien à l'émancipation, etc.
  • Enjeux environnementaux : promouvoir et activer les circuits courts, sensibiliser aux enjeux écologiques, expérimenter, développer des solutions et les mettre en œuvre, etc.
  • Enjeux culturels : création et diffusion de récits mobilisateurs révélant des futurs souhaitables, impact sur les perceptions sociales, activation des droits culturels, nouvelles méthodes d'apprentissage entre pairs, conservation et/ou valorisation du patrimoine, création et diffusion de biens communs de la connaissance favorisant l'accès au savoir, etc.
  • Questions politiques : renforcement de la cohésion et du développement territoriaux, régénération urbaine et rurale, résilience régionale, participation des citoyens et gouvernance multipartite, etc.

En ce sens, ce sont des espaces alliés qui contribuent à la transition systémique de notre société.

Catalyseurs de collaboration et d'hybridation

En raison de leur accessibilité et de leur capacité à rassembler des personnes d'horizons différents, les tiers-lieux peuvent servir de catalyseurs pour la collaboration, l'expérimentation et le partage des connaissances. 

En accueillant une multiplicité de fonctions et d'activités (agricoles, alimentaires, culturelles, entrepreneuriales, artisanales, d'inclusion, civiques, de santé, d'éducation, etc. - les possibilités sont infinies), ils encouragent l'hybridation et la pollinisation croisée des idées, favorisant l'émergence de solutions innovantes aux problèmes sociaux et environnementaux. A l'instar des écosystèmes naturels, plus un système est diversifié, plus il est résilient, car une fonction peut être remplie par plusieurs ingrédients et un ingrédient peut avoir plusieurs fonctions. L'Arbre qui Pousse à Ottignies, par exemple, réunit dans un même lieu et un écosystème partagé une école, une crèche, des logements collectifs et d'urgence, un centre de formation, des locations saisonnières, du maraîchage, une pépinière, une vigne et un petit élevage, une boulangerie, un espace événementiel, un restaurant et un atelier vélo, dans le but d'expérimenter un système complet au service de la transition écologique et, en particulier, de la résilience alimentaire de la communauté. (voir ci-dessous pour plus de détails sur cette organisation)

Incubateurs d'initiatives locales

Les tiers-lieux agissent comme des incubateurs d'initiatives locales, leur permettant de tester leurs idées dans un cadre sécurisé avec le soutien d'une communauté de pairs, leur offrant un terrain d'expérimentation pour des pratiques durables et des modèles économiques alternatifs, tels que l'économie circulaire ou les monnaies locales. Certains lieux, comme la Maison Folie à Mons, vont jusqu'à proposer des services d'activation et de soutien pour le développement et la mise en place de projets citoyens et communautaires dans leur région. (voir ci-dessous pour plus de détails sur cette organisation)

Des lieux de rassemblement et de mobilisation

A l'heure des méta-crises, les tiers-lieux, parce qu'ils sont appropriés par une communauté locale active, pluridisciplinaire et rompue aux logiques d'expérimentation, peuvent également constituer des espaces ressources et des lieux de rassemblement permettant aux habitants de se mobiliser rapidement, et ainsi contribuer à la résilience des territoires. A cet égard, la crise du covid-19 a été une démonstration grandeur nature de la réactivité et de la capacité d'innovation de nombreux tiers-lieux, notamment en France, pour répondre aux urgences locales. Comme le montre La Compagnie des Tiers-lieux dans une web-série consacrée aux aventures du confinement, alors que de nombreux secteurs étaient à l'arrêt, de nombreux tiers-lieux du Nord ont su mobiliser l'expertise de leurs communautés pour coudre des masques, concevoir des adaptateurs pour respirateurs ou des visières pour le personnel soignant, les prototyper dans le fablab et les envoyer en production dans une entreprise locale, organiser la distribution de colis-repas ou fournir un support numérique pour le télétravail....

 

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Conclusion 

Le concept de tiers-lieu est une réalité protéiforme, difficile à appréhender. Nous nous concentrons ici sur la notion d'espace hybride, combinant plusieurs fonctions/activités avec une dimension de cogestion par une communauté mixte d'usagers. 

Les tiers-lieux peuvent être catégorisés en fonction de leurs objectifs principaux, mais aussi en fonction d'autres facteurs de variabilité : initiateur, racines du projet, localisation, temporalité. En tenant compte de tous ces facteurs, le nombre de combinaisons possibles, et donc de « types » de tiers-lieux, est potentiellement très important. 

En Wallonie, où cette diversité est très présente, les tiers lieux émergent dans un contexte de crises multiples que la région, comme le reste du monde, traverse. En tant qu'espaces collectifs locaux, organisés démocratiquement, nous pensons que les tiers-lieux peuvent contribuer à relever de nombreux défis actuels et futurs, notamment ceux liés à la transition systémique de nos territoires. Ils peuvent activer une communauté locale capable de mobiliser des ressources locales. Ce sont aussi des espaces d'apprentissage, d'émancipation, de créativité et de capitalisation collective, permettant le développement d'innovations en marge des systèmes dominants qui s'essoufflent. La diffusion de ces innovations peut également être facilitée par la proactivité des tiers-lieux en termes de développement du réseau d'acteurs locaux.

Dans cette perspective, Trois-Tiers propose dans cette analyse une série d'indicateurs d'engagement, sous forme de questions, issus de données empiriques et conçus comme un work in progress qui s'enrichira des contributions futures. Ces curseurs invitent à une auto-évaluation par les tiers lieux de leur engagement en termes de pratiques collectives, d'insertion durable et viable dans le paysage local, de minimisation de leur empreinte et de maximisation de leur influence et de leur impact. L'objectif est d'aider les tiers lieux à prendre du recul et à s'interroger sur leur capacité à faire émerger un autre modèle de société. 

D'autres ressources sont également disponibles sur EPALE : (certaines d'entre elles sont en français)

-Third-places in Europe - a benchmarking study | EPALE (europa.eu)

-Innovative learning spaces: What's in a name? | EPALE (europa.eu)

-EPALE-zine Innovative learning spaces | EPALE (europa.eu)

-Les tiers-lieux d'apprentissage : entre immersion virtuelle, connexion avec la nature ou expérience en magasin | EPALE (europa.eu)

-L'arbre qui pousse, a Regenerative village aka rural Third place | EPALE (europa.eu)

-Third places: fallow land to encourage the emergence of citizens | EPALE (europa.eu)

-EPALE Podcast - Belgique Wallonie-Bruxelles - épisode 1 : Liliane Esnault nous parle des tiers-lieux et du projet Erasmus+"PLACES3T". | EPALE (europa.eu)

Deux autres ressources sont accessibles ici, (un reportage de la radio nationale belge francophone -RTBF) et ici ( une présentation CANVA de Trois-Tiers).

 

Merci à Pierre-Alexandre Klein et Marie Godart pour la rédaction de l'article

 

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