Education à la démocratie et aux valeurs, de quoi parle t-on ?
Lors de différentes journées de travail, conférences, réunions, l’Education à la Démocratie est un thème devenu récurrent, notamment après la déclaration de Paris des Ministres de l’Education de l’Union Européenne[1], suite aux différents attentats ébranlant le socle démocratique du continent. Souhaitant faire le point, j’ai questionné deux associations Européennes : Solidar et Lifelong Learning Platform. Lucie SUSOVA de Solidar (LS) et Brikena XHOMAQI de Lifelong Learning Platform (BX) ont accepté de répondre.
- Pensez-vous qu’il y a ces méthodes spécifiques pour l’Education à la Démocratie ?
LS : Plus que des méthodes spécifiques, il est nécessaire d’ouvrir des espaces favorisant implicitement l’éducation à la citoyenneté. Il ne faut pas uniquement considérer l’éducation formelle. La reconnaissance du volontariat, de l’éducation non formelle, des campagnes d’information ou de protestation, des débats et des forums sont autant de lieux pour cette éducation, en considérant la nécessité de soutenir spécifiquement des groupes en difficulté sociale ou économique.
BX : Les lieux dans lesquels nous apprenons sur notre société, nos institutions et nos valeurs démocratiques sont important. C’est ce que nous appelons les « environnements éducatifs ». Il est capital de comprendre et d’intégrer que tous les environnements d’Education ne poursuivent pas tous les mêmes buts. Cependant tous les espaces d’éducation devrait intégrer l’objectif final de contribuer à créer une société harmonieuse. L’éducation formelle doit encore faire un long chemin, mais il est sûr que c’est un lieu unique d’apprentissage du civisme et de la citoyenneté. Les environnements informels ou non formels s’adaptent mieux aux besoins fondamentaux des apprenants.
LS : Un point essentiel est le besoin de création de partenariats larges avec tous les acteurs importants. C’est aussi une approche holistique de l’Education qui place l’apprenant au centre du processus d’apprentissage.
BX : Tout à fait d’accord. Briser les séparations entre les secteurs peut renforcer un capital d’apprentissage à la citoyenneté. Nous ne devons pas non plus oublier la famille qui est le premier « environnement éducatif » où l’expérience vivante de la démocratie peut être expérimentée. Des formations pour les familles peuvent être utiles. Je pense également que nous vivons dans un système avec de multiples niveaux de gouvernance. Chacun d’entre eux à des objectifs plus ou moins identifiables. Le niveau local est souvent moins financé et moins engagé que le niveau national ou européen sur l’éducation à la démocratie. Bien sûr les programmes et les curricula sont importants aux niveaux européens et nationaux. Mais la pratique quotidienne est souvent dans la vie la plus locale, la plus près de la vie quotidienne. Autant au niveau formel que non formel ou informel.
- Quelles compétences peuvent être acquises dans l’Education à la Démocratie et à la Citoyenneté ?
LS : D’abord il faut considérer les valeurs qui renforcent l’engagement personnel dans la société. Notamment, le respect des droits humains, le soutien aux droits égaux pour les minorités, l’égalité des genres. Ces acquisitions sont des prérequis pour s’intégrer dans une société multiculturelle.
BX : Sans rentrer dans les détails, Lifelong Learning Platform soutient les travaux de l’Unesco et notamment le programme d’éducation à la citoyenneté mondiale dont la traduction concrète est la Déclaration d’Incheon « Education 2030 ». Un des points centraux est utiliser plus dans les systèmes formels le concept d’éducation, formation tout au long de la vie et l’ensemble des compétences transversales et sociales pouvant être acquises. [2] (Voir en ressources le document EDUCATION 2030.)
LS : Toutes les compétences créant une veille sur les questions politiques et sociales sont importantes. La pensée critique favorise également les processus démocratiques. Tout ce qui contribue à renforcer les identités culturelles à l’intérieur d’un dialogue interculturel, ainsi que les compétences acquises pour repousser les conflits et apprendre l’éducation à la paix sont indispensables pour l’éducation à la démocratie.
BX : Beaucoup a été dit et écrit. Nul doute que la présidence Finlandaise de l’Union Européenne commencée en juillet 2019 viendra étayer ces questions.
- Du point de vue des organisations de la société civile, quelle est la vision sur les besoins urgents en matière d’Education à la Démocratie, à la citoyenneté et aux valeurs de solidarité ?
LS : Tout d’abord, nous considérons que les fonds et le soutien aux projets et activités destinés à renforcer la citoyenneté active sont trop faibles au regard des enjeux. Des fonds publics et privés en augmentation permettraient de réduire les écarts et favoriser une plus grande intégration de groupes vulnérables. Considérant le travail spécifique d’éducation en direction des migrants, l’Union et les Etats membres doivent arrêter la criminalisation de la solidarité et permettre un travail de fond et quotidien avec les migrants, au risque de voir de nouvelles difficultés apparaître dans quelques années.
BX : Pendant que les systèmes d’éducation doivent fournir des lieux et des outils d’apprentissage aux apprenants pour à la fois apprendre ET s’exercer à la démocratie, il faut aider et renforcer les enseignants et les éducateurs à pouvoir agir dans ce sens. La formation professionnelle des enseignants et des éducateurs est essentielle. Il faut des fonds pour cela et permettre des mobilités indispensables pour les professionnels.
LS : Effectivement les insuffisances dans le cadre de la formation professionnelle initiale et continue des enseignants et des éducateurs, que nous dénonçons depuis longtemps, sont un frein sérieux à l’éducation à la démocratie. Il faudrait également renforcer les plateformes d’échanges et de coopération entre des professionnels de différents secteurs de l’éducation.
BX : Oui, nous avons constaté que la société civile organisée est le plus important « fournisseur » d’éducation civique en Europe. Des partenariats horizontaux et verticaux (thématiques et territoriaux) sont cruciaux parce que les besoins et les outils démocratiques sont créés et expérimentés dans ces lieux. Il faut considérer que, la démocratie n’est pas seulement exercée lors des élections, mais dans tous les actes de la vie.
CONCLUSIONS PROVISOIRES.
A la fin de nos entretiens croisés, j’ai demandé aux deux intervenantes si elles voyaient des points à rajouter. Chacune avec ses mots s’est accordée sur une phrase globale commune.
« Les valeurs fondamentales de solidarité, d’égalité et de justice sociale sont des bornes essentielles dans le processus de construction de sociétés éducatives inclusives. Les personnes doivent avoir la possibilité de participer, de coopérer, en tant qu’individus libres et égaux dans des cadres sociaux et sociétaux communs. Les compétences à acquérir sont connues et identifiées dans le cadre des outils pour une éducation non formelle et formelle inclusive. Il faut maintenant que les systèmes soient plus ouverts à l’échange, à la participation partagée, à une vision plus holistique, bref au lifelong learning.
Régulièrement sur les sites de ces deux organisations des informations concrètes sont évoquées.
David LOPEZ est coordinateur thématique "Education Populaire" EPALE France.
[1][1] La déclaration de Paris adoptée le 17 mars 2015 par les ministres européens de l’éducation a marqué l’engagement pris par les États membres de promouvoir des valeurs communes, de renforcer l’esprit critique et l’éducation aux médias, l’éducation inclusive et le dialogue interculturel.